Concert de prestige ce dimanche 8 janvier : rien moins que Ludovic Tézier et Jonas Kaufmann dans un
programme Verdi-Ponchielli. On aurait pu croire à un remake de leur disque exceptionnel de duos
paru cet automne ; on a eu en fait quatre magnifiques duos, mais aussi deux airs de ténor et deux de
baryton non enregistrés encore. Tézier est au sommet mondial des barytons : carrière lente et
exemplaire qui lui permet aujourd’hui de rayonner dans les rôles verdiens : le Credo in un Dio crudel
de Iago entendu à Baden est d’une noirceur, d’une violence diabolique et d’une puissance à peine
croyables. Et la voix ! Parfaitement assuré dans tout ce qu’il chante, Tézier est un roc au grand style,
un verdien d’exception qui chante Otello et la Force du Destin comme dans la période bénie des
années 1950 à 1970 : qui donc peut rivaliser aujourd’hui ? Sa complicité avec Kaufmann est
évidente, autant que la pression médiatique sur son partenaire est immense. Chaque apparition de
Jonas Kaufmann est un événement et toutes ses prestations affichent complet dès la vente des
billets. La moindre note est attendue et scrutée par les fans et par les directeurs de théâtre. On
s’inquiète quand il tousse ; il a toussé un peu dimanche, mais fausse alerte : la vaillance dans l’aigu
est inentamée.

On adore le timbre et la couleur si peu italienne. On aime ou on n’aime pas sa façon
de détimbrer pour chanter piano, mais l’intelligence du phrasé, la tenue du souffle dans les passages
les plus difficiles et le contrôle de la voix sont stupéfiants à ce stade de sa carrière. Les ténors vivent
en effet plus périlleusement que les barytons. Le timbre sombre de Kaufmann fait merveille dans
Otello et Alvaro, mais manque sans doute d’italianité dans Cielo e mar de la Gioconda. Mais quel
plaisir d’entendre le duo peu connu de cette Gioconda, avec Kaufmann en Enzo tourmenté et Tézier
en Barnaba toujours menaçant (les barytons chantent souvent les méchants, dans ce concert tout
particulièrement). Ce sont justement ces personnages complexes qui conviennent le mieux à Jonas
Kaufmann, comme Alvaro de la Force du Destin. Qui est capable de chanter ainsi ce rôle ? On
cherche en vain un ténor –italien ou non- qui puisse chanter Alvaro avec autant de vaillance et de
subtilité réunies ; Leonora mia soccorrimi répété deux fois dans la romance d’Alvaro est
bouleversant.

Le sommet du concert a été le grand duo du 4 ème acte de la Force : il faut avoir entendu
cela une fois dans sa vie.
L’impact physique de cette musique chantée par deux interprètes de classe
mondiale est une expérience vitale, rarement donnée à entendre à l’opéra. Mention spéciale pour
l’orchestre de la Deutsche Radio Philarmonie, avec une rareté, la magnifique ouverture des Vêpres
Siciliennes, et un tube qu’on n’entend pas si souvent en réalité, la Danse des heures de Ponchielli.
Public en délire comme il se doit : Kaufmann et Tézier donnent en bis le duo de La Bohême,
intéressant certes, mais on attend le vrai bis … le voilà enfin, c’est bien le duo de Don Carlo et Posa
extrait du Don Carlo de Verdi, Dio, che nell’alma infondere, version italienne donc.
Triomphe mérité pour clore la soirée. On a vu des caméras, il y aura donc des images pour ceux qui n’étaient là !
