Ce 24 octobre 2025 marque le centenaire de la naissance de Luciano Berio (né le 24 octobre 1925 à Oneglia, Italie — décédé le 27 mai 2003 à Rome). A cet occasion, retrouvez un portrait approfondi de ce compositeur majeur du XXᵉ siècle, de son œuvre, de son héritage — et de ce que son centenaire peut faire résonner aujourd’hui.
Jeunesse et formation
Berio naît dans une famille où la musique est profondément ancrée : son père Ernesto et son grand-père Adolfo étaient musiciens (organistes, compositeurs), et c’est dans ce cadre familial qu’il fait ses premiers pas en musique.
Il étudie au Conservatorio Giuseppe Verdi de Milan, où ses professeurs incluent Giulio Cesare Paribeni (contrepoint), Giorgio Federico Ghedini (composition), Carlo Maria Giulini et Antonino Votto pour la direction d’orchestre.
Un accident pendant la Seconde Guerre mondiale (il se blesse à la main) le contraint à renoncer à une carrière de pianiste concertiste, ce qui oriente fortement sa vie vers la composition.
Premières étapes, l’avant-garde, l’électronique
Dès les années 1950, Berio se situe au cœur des expérimentations. Il fonde, avec Bruno Maderna, le Studio di Fonologia Musicale à Milan (RAI) en 1954. C’est l’un des premiers studios de musique électronique / phonologique en Italie. Il est également impliqué dans les revues et concerts de musique contemporaine : la revue Incontri Musicali (créée en 1956 avec Maderna), ainsi que des cycles de concerts à Milan, Naples, Venise.
Ayant étudié aussi aux États-Unis : par exemple, à Tanglewood (Massachusetts) auprès de Luigi Dallapiccola, ce qui renforce son ouverture vers les techniques modernes et l’avant-garde internationale.
Œuvre, formes et innovations
Luciano Berio, c’est une œuvre variée, souvent pionnière, traversée de contrastes : tradition / innovation, acoustique / électronique, voix / instruments.
Quelques œuvres-phares
Sinfonia (1968-69) : pour huit voix amplifiées et orchestre. Le texte mêle extraits littéraires (Claude Lévi-Strauss, Beckett, etc.), citations musicales, actes de parole decorpo ‒ chuchotements, voix parlée, etc. Elle est souvent considérée comme l’un de ses chefs-d’œuvre, par sa capacité à tisser histoire culturelle, mémoire, langage.
La série Sequenza : pièces solo pour divers instruments (et voix) dans lesquelles Berio explore les limites instrumentales, la virtuosité, la relation au temps, au son, à la notation, souvent avec des éléments « aléatoires » ou ouverts.
Laborintus II (1965) : une œuvre pour voix, instruments et bande magnétique sur un texte d’Edoardo Sanguineti, issue d’une commande pour commémorer Dante. C’est un exemple de sa recherche dramatique, de sa fascination pour le texte parlé, la voix, l’électronique.
Opéras / actions musicales telles que Opera, La vera storia, Un re in ascolto, Outis, Cronaca del luogo, etc., où il mêle théâtre, linguistique, voix, mise en scène et une forte conscience de l’espace et du temps.
Esthétique et style
Hybridation : un trait fort chez Berio est le mélange des traditions (musique vocale classique, textes littéraires, références anciennes) avec les technologies nouvelles (électronique, phonologie, bande magnétique, transformations sonores).
Voix humaine : Berio consacre une grande partie de son travail à la voix — non seulement comme instrument lyrique, mais comme matériau expressif : la voix parlée, susurrée, lue, chantée, et souvent en regard ou en contraste avec l’instrumental ou l’électronique. La collaboration avec Cathy Berberian fut cruciale dans ce domaine.
Réflexivité culturelle : utilisation de textes littéraires, philosophiques, de citations, de mémoire et culture, ce qui donne à ses œuvres souvent une dimension réflexive sur le langage, le sens, la voix, l’identité.
Innovation technologique : initiatives comme le Studio de Phonologie, plus tard Tempo Reale à Florence, direction de départements d’électroacoustique (par exemple à l’IRCAM)
Berio a été professeur dans de nombreux centres prestigieux : Darmstadt, Tanglewood, Mills College, Juilliard School (New York), Harvard University. Il a également dirigé ou fondé des institutions de recherche musicale : le Studio di Fonologia (Milan), Tempo Reale (Florence). Mariages artistiques et personnels : notamment avec Cathy Berberian, qui fut non seulement épouse mais muse/interprète importante. Plus tard, sa vie personnelle s’est mêlée à ses intérêts intellectuels et artistiques (par exemple avec Talia Pecker Berio)
Berio est décédé à Rome en 2003. Depuis, son œuvre continue d’être largement jouée, étudiée, célébrée. Le Centro Studi Luciano Berio organise en 2025 de très nombreuses initiatives pour marquer le centenaire de sa naissance : concerts, expositions, journées d’étude, masterclasses.
Le festival Invito. Per un centenario à Radicondoli (Toscane) du 23 au 25 mai 2025 illustre bien ce retour sur son héritage, mêlant mémoire et nouveauté.


