En cette année 2024 où l’on fête les 200 ans de la naissance de Bruckner et de Smetana, comment ne pas penser à Theodor Guschlbauer, qui est le premier chef à avoir programmé l’ensemble des symphonies de Bruckner à l’OPS, et le seul à avoir dirigé du Smetana pendant les quinze ans de de son triple mandat strasbourgeois… Le portrait réalisé par Christiane Weissenbacher sur Accent 4 le lundi 30 septembre de 18h à 20h
Theodor est arrivé à Strasbourg en 1983 à l’âge de 44 ans. Et aujourd’hui, à 85 ans, il y est encore ! S’il a passé ainsi presque la moitié de sa vie en Alsace, c’est qu’il devait s’y sentir particulièrement bien : voilà pourquoi, à l’occasion de tous ces anniversaires qui le concernent de si près, j’ai souhaité le faire parler de ce long et riche partenariat avec notre région.
Cette initiative m’a permis de rencontrer un homme doté, non seulement d’une mémoire phénoménale (entretenue sans doute par l’habitude de tout diriger par cœur), mais aussi d’un irrésistible talent de conteur: Theodor se souvient de tout le répertoire qu’il a dirigé (symphonique et lyrique), de toutes les tournées qu’il a faites (dans les pays du monde entier pendant plus d’un demi-siècle), de tous les solistes avec lesquels il a collaboré, de Benny Goodman (let’s start, Teddy) à Rostropovitch (zu laut, Theodorsky) … Quant au conteur, il pourrait remplir cinq émissions rien qu’avec ses anecdotes : les Finnois alcooliques au festival de Savonlinna, les partitions emportées par le mistral au festival d’Orange, la coupure de courant à Europa Cantat en présence de Kohl et Mitterrand…
Mais ce qu’il y a d’encore plus passionnant chez Theodor Guschlbauer, au-delà de ses dons de conteur hypermnésique, c’est sa double position charnière à la frontière de deux mondes. Frontière temporelle déjà, puisque, étant né en 1939, il a été formé aux pratiques d’avant-guerre (équilibre entre théorie et pratique, direction de mémoire, et acquisition d’un répertoire polyvalent) telles qu’elles lui furent enseignées notamment par Matačić et Karajan. Frontière géographique ensuite : Theodor est un Autrichien né à Vienne, la ville de Haydn, de Mozart, de Beethoven, de Schubert, de Mahler, de Strauss, bref des fondateurs du répertoire symphonique ; Vienne, qui est aussi la capitale d’un Empire certes déchu, mais qui a gardé de son passé la pratique de plusieurs langues, notamment de l’allemand et de l’italien. Et voilà qu’à 22 ans (en 1961), cet héritier du Welt von Gestern est appelé à sillonner la France avec le Wiener Barok Ensemble (135 concerts notamment pour les JMF, les Jeunesses Musicales de France), et à enregistrer avec les meilleurs solistes français de l’époque ! On comprend qu’en 1969 Louis Erlo se soit tourné vers lui pour sa reconstruction artistique de l’opéra de Lyon, et que 14 ans plus tard, Strasbourg ait suivi l’exemple de Lyon.
Je dirai pour finir que si Theodor s’est imposé à notre mémoire, c’est avant tout parce qu’il fut un excellent chef d’orchestre. La direction d’orchestre est un métier qui exige des compétences nombreuses et variées, sollicitées à des niveaux très élevés. Outre des compétences techniques et artistiques, il y faut des compétences humaines, qui permettent au chef d’entretenir de bonnes relations avec ses partenaires musicaux et administratifs. Pour avoir tenu pendant quinze ans à la tête de l’OPS, Theodor dut ne manquer ni des unes ni des autres. Et aujourd’hui encore, dans cette ville où il a choisi de s’installer définitivement, Theodor a gardé les meilleurs contacts avec un grand nombre de personnes: au Conservatoire où il assure encore des master class, à proximité de l’OPS puisqu’il est président du chœur philharmonique que dirige Catherine Bolzinger, et puis, bien sûr auprès du public – celui qui est encore là pour se souvenir des concerts auxquels il a assisté de 1983 à 1997 (et même après), et qui sera heureux de retrouver son chef bienaimé sur les ondes d’Accent 4 le lundi 30 septembre de 18h à 20h, ainsi que sur le blog de la radio au-delà de cette date.
Christiane Weissenbacher