L’Opéra national du Rhin propose, à partir du 29 octobre 2025, une nouvelle production de Otello de Giuseppe Verdi, mise en scène par Ted Huffman et dirigée par Speranza Scappucci. La production, coproduite avec l’Opéra national de Lorraine et les Théâtres de la Ville de Luxembourg, est programmée à Strasbourg (et en tournée à Mulhouse et Colmar). Cette production est l’occasion de confronter une distribution actuelle à l’un des rôles-titres les plus exigeants physiquement et psychologiquement du répertoire. Le metteur en scène Ted Huffman, acclamé sur la scène internationale pour son élégance et sa sobriété, réserve son premier Verdi aux tréteaux de l’Opéra national du Rhin.
Opéra de maturité, œuvre de réflexion, Otello fait partie des rares productions de Verdi ayant rencontré un succès immédiat auprès de son public, et ce, dès sa première à la Scala de Milan. Et pourtant ! Non seulement il n’était pas dit que Verdi aurait le temps de finir cet opéra, mais il n’était même pas certain que le compositeur accepterait de l’écrire, car à cette époque Verdi n’avait qu’une seule envie… prendre sa retraite ! Peut-être était-il las d’attendre anxieusement la réception critique de ses œuvres, soumises toute sa vie à la bonne volonté d’un public italien très exigeant…
À 74 ans, Verdi avait déjà à son actif certains des plus grands opéras du répertoire ayant connu des succès spectaculaires : Aïda, le dernier d’entre eux, avait reçu un accueil phénoménal et ne semblait pas pouvoir avoir d’égal dans un futur proche. Et voilà qu’Otello arriva. Narrant les passions et les frustrations d’hommes pris dans la tourmente d’une intrigue implacable, cette histoire puissante regroupe des thèmes chers à Verdi ! De longues années de travail plus tard, il livra l’un de ses plus grands chefs d’œuvre.
Verdi mit cependant 7 ans à composer son Otello. Le livret lui fut présenté à l’été 1880 mais le compositeur ne se mit à l’ouvrage qu’en 1884, la création n’ayant finalement lieu qu’en 1887. Pris entre plusieurs projets, dont la réécriture de l’opéra Simon Boccanegra, le maestro ne pouvait se résoudre à proposer une œuvre qui ne lui plût pas complètement et n’acceptait pas de sacrifier le moindre détail. Son processus de création nécessitait ainsi un grand nombre de révisions et une part toujours plus grande pour la réflexion et la remise en question, comme l’atteste ses nombreuses lettres.
Par ailleurs, le livret fut lui-même largement remanié sous la direction du compositeur, qui voulait que la pièce de Shakespeare entre en parfait écho avec son interprétation personnelle du drame vécu par Otello et Desdémone. Il n’hésita pas pour cela à donner de fermes indications à son librettiste, qui devait les respecter scrupuleusement.
Jeudi 30 octobre en écoutant TEMPO MATIN entre 6H00 et 10H00, répondez « 7 ans » et gagnez les deux dernières places pour assister à la représentation du 31 octobre à 20H00
Pourquoi Otello est — encore — un sommet
Otello (1887), sur le texte d’Arrigo Boito d’après Shakespeare, marque la pleine maturité de Verdi : la fusion d’un drame shakespearien à une architecture musicale neuve, intégrant la continuité orchestrale (réduction des numéros fermés), une prosodie intime et une orchestration d’une expressivité psychologique inédite chez Verdi. Le procédé d’ « orchestre-théâtre » — où l’orchestre souligne, commente et ménage des psychologies — atteint ici son apogée.

- Otello demande un ténor dramatique au timbre sombre et à la projection héroïque, apte à articuler les longues lignes de douleur et de fureur (du duo d’amour à l’agonie finale), mais aussi à moduler l’intériorité (les pages quasi-chaotiques de jalousie).
- Iago est un rôle d’un art du verbe : il exige un bariton-acteur capable d’une ironie froide, d’un phrasé assassinat et d’un legato pénétrant.
- Desdemona est ici l’équilibre psychologique et vocal : la pureté du souffle, la transparence lyrique, le contrôle pianissimo — la scène du Willow Song et de la Ave Maria exige une soprano de vérité, pas seulement de beautés vocales.
Ces caractéristiques font d’Otello une œuvre qui ne se laisse pas réduire à l’« exhibition » vocale : elle suppose une intégration intime de la voix dans la dramaturgie orchestrale — d’où l’importance de la direction musicale et du plateau.
Un chef d’Oeuvre absolu !
Otello n’est pas « seulement » un opéra à grands airs : la partition innove dans la façon d’organiser la continuité et l’expressivité psychologique. Voir une production contemporaine permet d’observer comment les metteurs en scène contemporains traduisent (ou non) ce travail d’intériorité orchestrale.
Le prologue d’Otello instaure une matière orchestrale sombre, faite de cellules rythmiques et d’un contrepoint timbral qui prépare la tragédie. Verdi, avec Boito, use d’une écriture où le « thème » n’est pas toujours mélodique mais souvent rythmico-motival : la rythmique du récit s’imprime, sous-jacente, aux interventions vocales. À l’écoute, prêtez attention aux coupes, aux respirations orchestrales qui organisent la continuité dramatique (les réponses du chœur en mer sont autant d’appuis structurants que la ligne d’Otello).
Les duos amoureux, notamment le grand duo d’Acte I, demandent au ténor et à la soprano une intégration phrastique exceptionnelle : Verdi exige que la ligne chante comme un continuum, chaque respiration étant dramatiquement signifiée. L’orchestre accompagne, colore, sous-tend mais ne doit pas lasser la ligne vocale ni masquer l’intimité. Sur scène, la direction de souffle et la relation « respiration musicale commune » entre Otello et Desdemona est cruciale.
Inspiration Wagnérienne ?

Avec Otello, Verdi prit le parti de s’éloigner des formes qui avaient prévalu dans ses œuvres précédentes, pour s’adapter aux goûts nouveaux de ses contemporains. Il abandonna ainsi définitivement la structure d’un opéra à numéro en faveur du développement d’une forme continue, qui s’apparente au Durchkomponiert de Wagner, c’est à dire une forme qui tend au développement perpétuel, sans réel césure dans la musique.
Il modifia ainsi profondément le rythme dramatique de son opéra : les actions se succèdent très rapidement, voire se superposent.
C’est notamment le cas lors des apartés de Iago, mais aussi dans le quatuor de l’acte II, formé de deux intrigues superposées (quand elles ne peuvent que se succéder au théâtre) : tandis qu’Otello accuse Desdemona de l’avoir trompé, Emilia tente d’empêcher son mari Iago de mettre la main sur le mouchoir de Desdemona (qui deviendra la fausse preuve de l’infidélité de cette dernière). Malgré la superposition, chaque personnage reste individualisé et se trouve chargé d’une fonction musicale : Desdemona est en charge de la continuité mélodique, Emilia et Iago de la dynamique de l’ensemble (avec une rythmique saccadée) et Otello fait le lien entre les deux.
Puccini reprendra ce procédé dans le quatuor de l’acte III de La Bohème dix ans plus tard.
Cette évolution de style est perceptible dès le début de l’opéra : Otello a la particularité de ne pas commencer par un prélude, une ouverture ou une introduction mais par un coup de tonnerre et de canons, immédiatement suivis d’une intervention du chœur. La tempête et la jalousie font rage sur le port de Chypre, tandis que le chœur espère le retour d’Otello (général maure de Venise en guerre contre les Turcs). Vocalement, les rôles s’éloignent également des standards verdiens. Otello est un ténor assez dramatique et torturé, sollicitant beaucoup les médiums et les graves de la tessiture. Desdemona doit contraster avec Otello par sa jeunesse vocale, mais son soprano lyrique est aussi un peu appuyé. Enfin le baryton Iago n’est déjà plus un baryton verdien, voix typiques du reste de son répertoire, souples et très chantantes : il est sombre comme le Scarpia imaginé par Puccini pour Tosca
Les chefs modernes préférant une clarté de texture comme Scappucci permettent souvent une mise en valeur subtile des rapprochements parlés-suspendus.
Née en Italie, Speranza Scappucci, diplômée de la Juilliard School et du Conservatoire de musique Sainte-Cécile de Rome, travaille régulièrement dans les plus grandes maisons d’opéra. Elle sera cheffe invitée principale au Royal Opera House de Londres à compter de la saison 2025-2026.
De 2017 à 2022, elle a occupé le poste de directrice musicale de l’Opéra royal de Wallonie. Elle y a dirigé Madame Butterfly, La Cenerentola, La Somnambule, Aida, Les Puritains, Eugène Onégine, Simon Boccanegra et Carmen. Avec Le Barbier de Séville, elle a fait ses débuts à la Canadian Opera Company de Toronto et elle est retournée à l’Opéra de Zurich pour diriger La Bohème.
Des concerts l’ont conduite à Bordeaux, Liège, Budapest, Lyon et Paris. Elle a dirigé L’Élixir d’amour, La Bohème et La Cenerentola au Staatsoper de Vienne, Maria Stuarda au Théâtre des Champs-Élysées, Tosca à l’Opéra de Washington, La Bohème au Semperoper de Dresde, Così fan tutte au Théâtre du Capitole de Toulouse et La Traviata au Gran Teatre del Liceu de Barcelone. Elle a fait ses débuts au Nouveau Théâtre de Tokyo avec Lucia di Lammermoor. Elle a été la première femme à diriger Les Capulet et les Montaigu à La Scala de Milan.
Ces dernières saisons, elle a notamment dirigé Rigoletto au Metropolitan Opera de New York, Macbeth à la Canadian Opera Company de Toronto, Dialogues des carmélites à l’Opéra royal de Wallonie, La Fille du régiment au Lyric Opera House de Chicago, La Traviata au Staatsoper Unter den Linden de Berlin, La Rondine au Metropolitan Opera de New York et Turandot à Washington.
Au cours de la saison 2024-2025, elle dirige Eugène Onéguine à la Canadian Opera Company de Toronto et La Traviata au Bayerische Staatsoper de Munich.
Sa discographie comprend notamment un enregistrement avec le contrebassiste Ödön Rácz et l’Orchestre de chambre Franz Liszt, sorti en 2019 chez Deutsche Grammophon.


Né à Kaspi, en Géorgie, le ténor Mikheil Sheshaberidze étudie au Conservatoire d’État Vano Sarajishvili de Tbilissi.
Il suit des masterclasses avec la soprano américaine Lella Cuberli et se perfectionne à l’Académie internationale de chant Renata Tebaldi et Mario del Monaco de Pesaro. En 2011, il remporte le troisième prix du concours Gaetano Fraschini pour jeunes chanteurs d’opéra à Pavie, participe à la quinzième édition d’Opera Domani et interprète Nabucco au Teatro de Trieste et au Teatro Duni de Matera dans le cadre du programme pour jeunes artistes AsLiCo. L’année suivante, il obtient le troisième prix du concours international La Città Sonora à Milan.
En 2012, il interprète les rôles de Pinkerton (Madame Butterfly), puis de Don José (Carmen), de Cavaradossi (Tosca), de Roberto (Le Villi) et de Foresto (Attila). Il incarne Canio (Pagliacci) et Turiddu (Cavalleria rusticana) au Seoul Arts Center, Ismaël (Nabucco) et Cavaradossi (Tosca) aux Arènes de Vérone, Dick Johnson (La Fanciulla del West) aux théâtres de Lucques, de Pise, de Ravenne et de Livourne, Radamès (Aïda) à l’Opéra national d’Estonie, Calaf (Turandot de Busoni) et Pinkerton au Théâtre de Cagliari.
Il chante le rôle-titre d’Otello pour la première fois au Teatro Alighieri de Ravenne, sous la direction de Cristina Muti.
En 2020, il chante Pollione (Norma) au Teatro San Carlo de Naples et incarne Calaf (Turandot) au Théâtre de Taipei et au Teatro Regio de Turin, puis Cavaradossi au Teatro Comunale de Bologne et au Teatro Verdi de Trieste.
La saison dernière, il interprète le rôle-titre de Néron de Boito au Teatro Lirico de Cagliari puis apparaît dans Turandot dans les théâtres de Modène, de Ravenne et de Rimini et chante pour la première fois au Teatro Colón de Buenos Aires dans le rôle de Luigi (Il Tabarro). Il fait ses débuts à l’OnR.
Le metteur en scène et écrivain new-yorkais Ted Huffman étudie les sciences humaines à l’Université de Yale avant d’entamer sa carrière au sein du programme Merola de l’Opéra de San Francisco. Lauréat d’une bourse MacDowell en 2017, il voit ses productions distinguées par de nombreux prix et nominations : Olivier Awards, International Opera Awards, Opernwelt Awards, Royal Philharmonic Society Awards, UK Theatre Awards, South Bank Sky Arts Awards et Ivor Novello Awards. Parmi ses récentes créations pour l’opéra, en tant que librettiste et/ou metteur en scène, figurent Le Couronnement de Poppée (Aix-en-Provence, Versailles, Cologne, Rennes et Toulon), Street Scene de Kurt Weill (Opéra national de Paris) et Denis & Katya de Philip Venables (Philadelphie, Amsterdam, Montpellier, Hanovre, Music Theatre Wales).
Il collabore étroitement avec Philip Venables pour 4.48 Psychosis, My Favourite Piece is the Goldberg Variations, Answer Machine Tape, 1987, Alice, l’opéra pour enfants The Big History of Little England, ainsi que, plus récemment, The Faggots and Their Friends Between Revolutions (Festival d’Aix, Holland Festival, Ruhrtriennale, Manchester, Southbank Centre, Bregenz) et Denis & Katya. Régulièrement invité au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles, au Festival d’Aix-en-Provence ou encore dans les opéras d’Amsterdam, Zurich et Francfort.
Le retour à l’ONR !
Au cours de la saison 2024/25, il signe la mise en scène d’Eugène Onéguine au Covent Garden de Londres, ainsi que le livret et la mise en scène de la création mondiale de We Are the Lucky Ones de Philip Venables à l’Opéra d’Amsterdam, présenté à l’été 2025 à la Ruhrtriennale. Cette saison, il met également en scène La Petite Renarde rusée au Staatsoper de Berlin, Werther à l’Opéra-Comique, Tosca au Festival de Glyndebourne, et reprend The Faggots and Their Friends Between Revolutions au Park Avenue Armory à New York. Il retrouve l’OnR après 4.48 Psychosis en 2019 et Les Oiseaux de Walter Braunfels en 2022.

Notre Playlist comme d’habitude avec notre CD « coup de cœur »


