
Si la saison a inspiré de nombreux compositeurs à travers les siècles, il convient – avec le soleil perçant – d’en réaliser ce tour d’horizon (non exhaustif). Vingt œuvres à découvrir ou redécouvrir…
Avant de devenir une chaîne très française de grands magasins, le printemps (de l’ancien français prins – premier – et temps) reste avant tout une saison de transition entre les saisons froides et chaudes. Désormais les jours s’allongent et la lumière naturelle stimule notre énergie, nous donnant parfois l’impression que le temps passe plus vite que durant l’hiver. La date calée avec l’équinoxe de mars varie toutefois selon l’hémisphère. Il est pourtant possible, même en Australie le 20 mars, d’écouter La Primavera de Vivaldi sous les pommiers (presque) en fleurs.
Musique orchestrale et concertante

Le journal du printemps Op 1 de Johann Caspar Ferdinand Fischer (1695)
Recueil du compositeur baroque allemand publié en 1695, il se compose de huit suites orchestrales, également appelées « ouvertures », écrites pour cordes, avec l’ajout (optionnel) de deux trompettes dans la première et la dernière suite.
Chaque suite débute par une ouverture et se conclut par une chaconne ou une passacaille, reflétant l’influence du style français alors en vogue – celui de Jean-Baptiste Lully – que Fischer a introduit dans la musique allemande. Il s’agit d’ailleurs certainement d’une des premières collections de suites orchestrales éditées la même année en Allemagne, avec Concors Discordia de Benedikt Anton Aufschnaiter et Florilegium de Georg Muffat.
Lully codifie en effet ces suites de danses à la cour du Roi Soleil. On y trouve toujours après l’Ouverture une Allemande (solennelle, en 4/4), une Courante (virevoltante, en 3/4 ou 6/4) puis une Sarabande (lente et majestueuse, en 3/4) et enfin pour conclure une Gigue (rythmée et animée, souvent en 6/8 ou 12/8). Parfois, on peut inclure un Menuet, une Gavotte ou une Bourrée, ce que fera dans l’Allemagne centrale un certain Johann Sebastian Bach (Suites françaises, suites orchestrales, suite pour violoncelle…)
L’écriture française souvent plus contrapuntique (voix superposées) que l’italienne est ici ornée. Dans le berceau de la Renaissance, la structure plus libre, le style d’un Scarlatti par exemple, sera bien plus mélodique. Concrètement la rigidité française, moins virtuose, renvoie à la noblesse, ce qui explique l’abandon de la forme après la Révolution. Ceci permet d’expliquer l’engouement des monarques allemands et donc par extension des demandes formulées aux compositeurs.
1er concerto « La primavera » en mi Majeur Op 8 RV 269 d’Antonio Vivaldi (1724)
Edité en 1725 à Amsterdam par Michel Le Cène, cet hymne à la nature composé par le violoniste vénitien de 47 ans – dédié au Comte Wenzel von Morzin de Venise – célèbre dans ce mouvement l’arrivée des beaux jours. Un décompte des enregistrements établie les versions depuis 1939 à 1000 allant de divers arrangements, notamment en jazz, à des transcriptions toutes les plus originales (pour piano, orgue, harpe, guitare, flûte ou accordéon). Max Richter recompose même l’œuvre complète en 2012. Jean-François Paillard, qui l’a enregistré six fois, l’a donné 1 480 fois en concert. Il a grandement popularisé ce concerto. D’ailleurs on le retrouve aussi bien au cinéma ou en générique d’émission comme dans la publicité.
Des sonnets attribués au maestro accompagnent la partition :
Allegro Giunt’è la Primavera e festosetti La salutan gl’augei con lieto canto; E i fonti allo Spirar de’zeffiretti Con dolce mormorio Scorrono intanto. Vengon’ coprendo l’aer di nero amanto E Lampi, e tuoni ad annunziarla eletti Indi tacendo questi, gli’ Augelletti Tornan di nuovo al lor canoro incanto. Largo E quindi sul fiorito ameno prato Al caro mormorio di fronde e piante Dorme ‘l Caprar col fido can a lato. Allegro Di pastoral Zampogna al suon festante Danzan Ninfe e Pastor nel tetto amato Di primavera all’apparir brillante. | Allegro Voici le Printemps, Que les oiseaux saluent d’un chant joyeux. Et les fontaines, au souffle des zéphyrs, Jaillissent en un doux murmure. Ils viennent, couvrant l’air d’un manteau noir, Le tonnerre et l’éclair messagers de l’orage. Enfin, le calme revenu, les oisillons Reprennent leur chant mélodieux. Largo Et sur le pré fleuri et tendre, Au doux murmure du feuillage et des herbes, Dort le chevrier, son chien fidèle à ses pieds. Allegro Au son festif de la musette Dansent les nymphes et les bergers, Sous le brillant firmament du printemps. |

Première symphonie (Frühlingssinfonie) en si bémol Majeur Op 38 de Robert Schumann (1841)
Un an après son mariage avec Clara Wieck, le jeune père n’avait jusque là écrit que des oeuvres pianistiques, les 23 premiers opus, et des lieder. Première symphonie composée seulement en quatre jours en janvier 1841 sous la pression de sa femme, Schumann est décrit par ses biographes comme euphorique. Il aurait d’ailleurs décalré que l’oeuvre est « née en une heure de feu ».
J’ai écrit la symphonie, si je puis dire, dans cette pulsion printanière qui emporte l’homme jusqu’à l’âge le plus avancé et qui l’assaille à nouveau chaque année. Je n’ai pas voulu décrire, ni peindre ; mais je crois bien que l’époque à laquelle la symphonie a été composée a eu une influence sur sa conception, et qu’elle est devenue ce qu’elle est. (Karl Heinrich Wörner, 1987)
Après « éveil du printemps », « soirée » et « joyeuse fête », il est l’heure de fêter à sa juste valeur le « grand printemps ». Sous-titres initiaux retirés dans l’édition définitive, probablement pour ne pas trop influencer l’auditeur, Schumann se serait inspiré d’un court poème d’Adolf Böttger.
Dès le premier coup de trompette, je voudrais qu’il résonne comme d’en haut, comme un appel au réveil à l’image d’un papillon qui s’élève. Dans ce qui suit, je pourrais alors mettre en scène le verdissement progressif… (Richard Batka, 1891)
Schumann assiste à la création le 31 mars 1841 à Leipzig. Son ami Mendelssohn dirige l’orchestre du Gewandhaus acclamé après trente minutes par un public ravi. D’autres représentations apportent le printemps à Weimar, Brême, Hambourg, Berlin, La Haye et Rotterdam.
8e symphonie Frühlingsklänge (Sons du printemps) en la Majeur Op 205 de Joachim Raff (1876)
Débutant un cycle saisonnier de quatre symphonies, le compositeur suisse suit ici une forme traditionnelle en quatre mouvements. Maître de l’orchestration, cette partition regorge de couleurs printanières véhiculant une atmosphère vivace et optimiste. Similaire – d’un point de vue stylistique – aux œuvres de ses ainés Mendelssohn mais surtout Schumann, Raff évoque ici le renouveau de la nature avec un ton léger, presque pastoral.
La 2e symphonie en la Majeur Op 34 « In the Spring » de John Knowles Paine (1879)
A une époque où peu de compositeurs américains trouvaient des édit eurs pour leurs œuvres symphoniques, John Knowles Paine réussit à se faire éditer en 1880 à Boston. Marquant de facto le début d’une tradition symphoniste américaine (qui comptera un demi-siècle plus tard George W. Chadwick) le jeune professeur à Harvard, alors au sommet de sa gloire, est plus qu’attendu avec une seconde symphonie au point qu’une fois créée l’œuvre est aussitôt rejouée deux jours de suite par deux orchestre différents à Boston. Le lendemain La Gazette a qualifié la partition de « loin la meilleure œuvre écrite jusqu’à présent sur le sol américain par un compositeur américain ». La symphonie se développe à partir de plusieurs motifs d’une manière presque wagnérienne. Elle comprend plusieurs références thématiques croisées entre les mouvement, ce qui nécessitent des écoutes répétées pour toutes les déceler. Les critiques de l’époque se sont demandés si Paine ne se penche pas (dangereusement) vers les poèmes symphoniques de Liszt, qu’ils jugent assourdissants. Une originalité : la partition définitive ne fournit aucun indice verbal quant à l’objectif expressif de chaque mouvement, le compositeur n’ayant pas inscrit précisément ses intentions. Cela dépend donc aujourd’hui des choix du chef d’orchestre…

L’introduction du premier mouvement – en la mineur – est construite sur un motif grave énoncé par les cordes graves. Ce thème « hivernal » revient tout au long du mouvement. A la suite d’une explosion de tout l’orchestre (fortissimo), les violons introduisent une figure de rotation rapide en reprenant le même thème. A première vue, cela semble purement décoratif, mais en fait cela montre le dégel et donc la transition entre hiver et printemps. Concrètement les notes se raccourcissent (mi ré si ré) et perdent à chaque fois la moitié de la valeur précédente ; des noires initiales, elles passent aux croches puis aux doubles croches. Un nouveau thème, en la majeur cette fois, introduit le long mouvement de forme sonate qui suit.
Le deuxième mouvement est un vigoureux scherzo en ré mineur, plein d’humour. Les harmonies mystérieuses traduisent musicalement le jeux de lutins dans les bois.
L’Adagio (3e mouvement) est une explosion passionnée de lyrisme, un mouvement plutôt schumannien en fa majeur. Chaque retour du thème principal est plus élaboré, jusqu’à ce qu’un effondrement soudain dans une rêverie feutrée amène la coda, avec sa combinaison discrète des thèmes entendus précédemment sur la douce réitération d’un appel de cor, comme des échos venant des profondeurs des bois.
Le final éclate splendidement. La figure des cordes graves bondit avec un trille, rappelant ainsi le froid du thème initial, maintenant joyeusement transformé en printemps. L’abondance débordante culmine dans une phrase large et lyrique semblable à un hymne. L’historien Louis Elson a d’ailleurs comparé le quatrième mouvement à la Première symphonie de Schumann1
Pourquoi une œuvre d’une telle richesse est-elle si négligée d’un point de vue discographique ?
Etant donné qu’une grande partie des concerts américains, depuis le XIXe siècle et jusque dans les années 1980, était entre les mains de musiciens nés et formés en Allemagne, il était naturel que leurs goûts aient influencé le caractère de la musique jouée et composée, comme celle de John Knowles Paine. Ironiquement, après la Première Guerre mondiale et l’apparition d’une nouvelle génération de compositeurs, emmenés par Aaron Copland, les règles ont changé par la force des choses ; il est soudain devenu important de sonner « américain ». Tout ce qui évoquait la tradition allemande a tout simplement été rejeté, ce qui explique la mise à l’écart de ce compositeur. Ce faisant, toute une génération de compositeurs talentueux a été perdu de vie. L’engouement des orchestres est vraisemblablement la réponse aux récents enregistrements.
Amour et printemps d’Emile Waldteufel (1880)
Né à Strasbourg en décembre 1837, Waldteufel est issu d’une prestigieuse lignée de musiciens alsaciens. Si la famille déménage à Paris pour que son frère ainé Léon puisse apprendre le violon au Conservatoire, après avoir tanné ses parents il suit le même chemin et entre à son tour dans la prestigieuse institution en 1853. Aux côtés de Jules Massenet et Georges Bizet, il compose pour son instrument – à savoir le piano – et prend tous conseils pour orchestrer ses œuvres. Ses danses désormais à l’orchestre se retrouvent à la cour impériale. L’impératrice Eugénie en personne les apprécie particulièrement. Devenu pianiste attitré de la souveraine il est chargé d’animer les fameuses soirées dansantes de Biarritz et de Compiègne. A partir de 1867, l’orchestre de Waldteufel accompagne régulièrement les bals aux Tuileries, prenant ainsi la suite d’Isaac Strauss (que Berlioz surnomme le « Strauss de Paris »). Mais ce faste prend fin avec la guerre franco-prussienne. Remarqué par le Prince de Galles, il signe un contrat avec la société d’édition londonienne Hopwood & Crew qui lui permet d’intégrer cette fois les prestigieux bals de la Reine Victoria. Sa musique y domine les programmes durant plusieurs années, à l’image d’Amour et printemps. Suivra la très célèbre Valse des patineurs en 1882, partition qui lui vaut dit-on une renommée internationale. Demandé à Berlin, il meurt en pleine gloire – à 77 ans – dans la capitale française.
Depuis sa musique résonne dans la publicité et peut également servir de générique d’émission à l’image de Ciné-Club en 1971 (Claude-Jean Philippe, Patrick Brion) sur Antenne 2. Chaque dimanche soir en seconde partie de soirée (jusqu’au 5 janvier 1975) puis chaque vendredi soir à 22h30 (jusqu’au 8 avril 1994) les spectateurs attentifs entendaient à l’orgue limonaire Amour et Printemps. Ce nouvel éclairage transforme le (basique ?) thème orchestral en musique de foire. Drôle d’héritage.
Frühlingsstimmen (Voix du printemps) Op 410 de Johann Strauss II (1883)
Johann Strauss (fils) alors âgé de 58 ans est reconnu par ses pères. Considéré comme le « roi de la valse viennoise », il est sommé de composer pour la colorature Bertha Schwarz une valse pour soprano pendant l’hiver 1882-1883. Seulement, il vient de faire la connaissance d’une jeune veuve : Adèle Deutsch. Il l’épousera en 3e noce en 1887…
La partition dédiée à Bianca Bianchi (et la réduction piano au compositeur Alfred Grünfeld) fait de Strauss II une vedette incontournable. La première en mars 1883 au Theater an der Wien propulse le compositeur dans d’autres sphères ; désormais cette courte pièce de neuf minutes tutoie les air d’opéras de Delibes et Rossini. Les motifs printaniers, tous majeurs, apportent gaité et fraîcheur.
Une seconde version – orchestrale – voit le jour à Vienne, sous la baguette d’Edouard Strauss, quelques jours après, dans la célébrissime salle du Musikverein. Le texte de Richard Genée mis à l’index ne permet plus d’entendre «l’alouette s’envoler vers les hauteurs bleues ». L’auditeur attentif entendra tout de même à la flûte traversière quelques volatiles (soprano ou non) s’essayer à l’opéra.
Le Sacre du Printemps d’Igor Stravinsky (1913)
Quand Kandinsky peint la Composition VII, Stravinsky représente son chef d’œuvre : Le Sacre du Printemps. Par ce scandale comparable à celui de Schönberg à Vienne (Skandalkonzert), l’œuvre marque une rupture avec le monde musical d’alors. Les Tableaux de la Russie païenne naissent dans l’esprit du compositeur en 1910. Imaginant un rite sacrificiel dans lequel les sages assis en cercle observent la danse à mort d’une jeune fille2. Programmé dès 1912, la compagnie est encore sur la programmation de
L’Après-midi d’un faune de Claude Debussy. Elle retarde donc à mai 1913 les deux tableaux : L’Adoration de la Terre et Le Sacrifice. L’introduction innove avec une écriture « anti-symphonique ». Après ce célébrissime solo de basson, les instruments entrent en nombre dans un immense crescendo où les doubles croches affluent. Le spectateur de 1913 habitué à entendre des symphonies romantiques et post-romantique ne sait plus quel pupitre écouter. Une « cacophonie » générale qui a fait écrire aux journalistes le lendemain « Massacre du Printemps ».
La modernité de Stravinsky réside dans l’ostinato rythmique des cordes, qui sont également toutes en staccato avec un archet sans cesse tiré (chiffre 13). Les huit cors viennent perturber la pulsation avec des contre-temps sur des valeurs courtes. Telle une mosaïque dans laquelle les lignes mélodiques s’entrecroisent, les accents sont sans cesse déplacés. La pulsation devient bancale, la métrique est brisée (1/8, 2/8, 2/16, 3/16,
5/16). Un jeune poète prometteur – Jean Cocteau – qui avait eu la chance d’entendre en avant-première des extraits sous les doigts du compositeur au piano y verra « le coup de grisou qui indique le filon ».
En juin 1921, Goossens Goossens crée le « Goossens Orchestra ». Premier concert au Queen’s Hall avec au programme : Lord Berners (Spanish Fantasy), John Irland (The Forgotten Rite), Maurice Ravel (La Valse) et Igor Stravinsky (Le Sacre du Printemps) :
Ni Bach, ni Mozart, ni Beethoven, ni Brahms ! Présenter un tel programme composé de deux jeunes musiciens
anglais contemporains, du « révolutionnaire » Ravel et du « scandaleux » Stravinsky à un auditoire londonien,
demande plus que du courage – du cran ! (Alphons Silbermann, 1955)
Non seulement Stravinsky, comme le scandale, s’exporte mais désormais il permet de s’inscrire dans l’ère du temps.
Trittico botticelliano (La primavera) d’Ottorino Respighi (1927)
Né à Bologne en 1879, Respighi découvre le violon et le piano avec son père avant de poursuivre ses études au lycée de musique de Bologne. Un bref passage auprès de Nikolaï Rimski-Korsakov et quelques leçons avec Max Bruch lui suffiront pour se lancer. Premier succès en 1916 avec Fontane di Roma (Les Fontaines de Rome). Au sortir de la Grande guerre, il épouse une de ses anciennes élèves, la chanteuse Elsa Olivieri-Sangiacomo.
Parmi cette vaste œuvre à redécouvrir, il y a donc un poème symphonique pour petit orchestre dédié à Elizabeth Sprague Coolidge, son amie et mécène. La création au cours de la tournée américaine du compositeur demandera une seconde représentation (officielle) en septembre 1927 au Konzerthaus de Vienne. L’Allegro vivace qui ouvre les trois mouvements a comme souvent chez Respighi une sonorité très « Renaissance » où se mêlent plusieurs oiseaux.
Spring Symphony Op 44 de Benjamin Britten (1948-1949)
A la demande de la Koussevitzky Music Foundation, Britten compose à 35 ans une symphonie chorale pour soprano, alto et ténor solistes, chœur mixte, chœur de garçons (remplacé au fil des enregistrements par un chœur d’enfants) et orchestre symphonique particulièrement garni. S’inspirant de poèmes printaniers des XVIe et XVIIe siècles, son œuvre illustre – selon ses dires – la « progression de l’hiver vers le printemps et le réveil de la terre et de la vie ». Il y mélange atmosphères pastorales, rythmes et danses populaires et certains passages plus contemplatifs montrent son ambition sans limites.
Créée au Concertgebouw d’Amsterdam le jeudi 14 juillet 1949 (et non le 9 juillet comme indiqué par de nombreuses sources) dans le cadre du Holland Festival. Depuis, les chiffres donnent le vertige : par exemple en octobre 1950, la Spring Symphony alors jouée au Festival musical triennal de Leeds comptait en plus de prestigieux interprètes un chœur de 100 garçons.
Les quatre parties conventionnelles débutent avec une lente introduction :
La première introduit un poème, sombre et mystérieux, au soleil (Shine Out). Plusieurs autres chansons suivent, dont The Driving Boy, chantée par le chœur de garçons, parfois en sifflant, avec un tambourin.
La deuxième partie comporte plusieurs solos et chœurs calmes, ainsi que des références au mois de mai.
La troisième partie évoque le mois de mai, puis l’été.
Le final, London, to thee I do present, atteint son apogée lorsque le chœur tout entier se joint à une valse sans paroles et à pleine voix représentant les fêtards de mai fortifiés par le vin et la bière (ce que confirment certaines modulations plutôt inattendues). Le point culminant du mouvement est le moment où les voix d’enfants, accompagnées par des cors à l’unisson, réintègrent la scène et chantent la ronde, Sumer is icumen in, du XIIIe siècle. L’air simple binaire (2/4) chanté sur l’inflexible valse ternaire orchestrale, finit par s’imposer. Les célébrations finissent par s’apaiser – malgré l’appel de la corne de vache – et le maître de cérémonie offre une dernière bénédiction en proclamant : « Et donc, mes amis, je suis heureux d’être ici » : « Et ainsi, mes amis, je m’arrête ».

Mélodies et lieder
Frühlingsglaube (Foi au printemps) de Franz Schubert (1820)
Entre 1819 et 1823, Schubert traverse une profonde crise, non pas au sens négatif mais comme un moment de profond bouleversement stylistique et personnel. Sa postérité a donc baptisé cette période « années de crise ».
En effet, le compositeur viennois s’éloigne contre toute attente des modèles classiques pour développer un langage beaucoup plus expressif et audacieux, marqué par une exploration harmonique innovante et une rupture avec les formes traditionnelles à l’image de sa Symphonie Inachevée et de son Quartettsatz. Son orientation littéraire évolue également vers les poètes romantiques contemporains : Schlegel, Rückert, Platen et Uhland (l’auteur de Frühlingsglaube). Tandis qu’il tente de s’imposer à vingt trois ans sur la scène publique avec des œuvres dramatiques comme Die Zwillingsbrüder (Les Frères jumeaux) et Die Zauberharfe (La Harpe enchantée), sans grand succès immédiat. D’ailleurs, Schubert se tourne vers un autre cercle artistique comprenant désormais en ses rangs peintres et écrivains influents. Son lied Erlkönig, publié en 1821, lui apportera la tant attendue première reconnaissance.
Sauf que la composition de Frühlingsglaube est antécédente ; il est maintenant question d’espoir et de renouveau apportés par cette saison. La mélodie légère – accompagnée par d’ondulants accords – en fait l’une des partitions les plus interprétée de Schubert.
Er ist’s d’Hugo Wolf (1888)
Recueil de cinquante-trois lieder composé à partir de poèmes du romantique allemand Eduard Mörike, ce cycle est l’un des plus riches et variés du compositeur d’ascendance slovène ; explorant une large palette d’émotions et de couleurs musicales, allant de l’humour à la tendresse en passant par la mélancolie et l’extase mystique, Wolf y déploie un langage harmonique raffiné. Le lied est alors au sommet de sa maturité.
L’une des plus célèbres pages, la deuxième du cycle, exprime avec une grande fraîcheur l’arrivée du printemps. La courte pièce s’ouvre sur une exclamation « Frühling lässt seiun blaues Band / Wieder flattern durch die Lüfte » (Le printemps fait à nouveau flotter son ruban bleu dans les airs) évoquant la brise printanière et donc le réveil de la nature. Wolf illustre musicalement cette image par une écriture pianistique légère (des triolets ; rythme ternaire dans une métrique binaire) et fluide, à l’image du printemps finalement.
Printemps de Georges Auric (1935)
Compositeur attitré pour l’intégralité des films de Jean Cocteau, « sa carrière s’est toujours déroulée en marge des circuits habituels ; il a touché à tous les genres avec une égale réussite » confie Alain Pâris dans son Dictionnaire de la Musique : les compositeurs en 1998. Un début prometteur au Conservatoire de Montpellier lui permet d’intégrer la classe de Georges Caussade à Paris en 1913 et de suivre entre 1914 et 1916 les cours de Vincent d’Indy à la Schola Cantorum. Joué à la Société nationale de Musique à l’aube de son quinzième anniversaire Interludes le rapproche d’Albert Roussel. Lancé sur la voie de la composition, naîtront en 1917 un ballet Les Noces de Gamache et en 1919 un opéra-comique La Reine de cœur. Les deux partitions sont restées à l’état de manuscrit et ont fini détruites par son créateur. Cette même année a lieu la rencontre décisive avec Cocteau. Comme lui, Auric est un « touche-à-tout » dédicataire en 1919 du Coq et l’Arlequin. Porté par le poète, il fréquente désormais le cercle des Ballets russes et obtient plusieurs commandes de ballets : Les fâcheux (1923), Les matelots (1924) et Pastorale (1925). La musique est avant tout un plaisir auditif qui ne doit pas réclamer d’effort d’attention excessif. Et pourtant, contrairement à ses propos, sa sonate en fa (1931) est très mal comprise, marquant chez lui une phase turbulente où la modernité ne plaît pas au public qui lui est si cher.

Le style harmonique est influencé par le début de Berg et la fin de Scriabine et, à l’exception de l’accord final, la pièce n’est pas du tout en fa. La mélodie est d’une importance primordiale, de même que les développements contrapuntiques complexes, tout à fait nouveaux dans la musique d’Auric. Cette liberté harmonique et polyphonique est freinée par le rythme, toujours très présent dans l’œuvre d’Auric. La Sonate pour piano fut mal accueillie et Auric fut découragé de poursuivre dans cette voie ». (André Boucourechliev, 1980)
Marc Honegger fait la même analyse :
L’œuvre de Georges Auric reflète deux tendances opposées, d’une part la concision, la vivacité du langage, une ironie piquante ; de l’autre, une ampleur et un tempérament presque romantiques qui se révèlent en 1931 avec la Sonate en fa pour piano et surtout avec la tragédie chorégraphique Phèdre. (Marc Honegger, 1986)
Apôtre de la modernité pour certains, perpétuel romantique pour les autres, l’ambivalence d’Auric réside peut-être dans son amitié avec le poète comme en témoigne une longue relation épistolaire. L’amitié réciproque que ce portait les deux hommes, à en juger par la préface du Coq et l’Arlequin et par cette déclaration d’Auric en 1915 « Je crois que cela sera plus long que la IX. Vous êtes mon Schiller et moi je suis Beethoven » est une possible réponse à ce foisonnement musical.
Pierre Caizergues a publié une grande partie des lettres échangées. Le chercheur remarque qu’en 1917 leur correspondance n’en n’est encore qu’à ces débuts. La formulation « Mon cher Cocteau » et le vouvoiement est la règle entre eux jusqu’en 1920. Les deux amis passent ensemble des vacances à Pramousquier en 1922, au Piquey en 1923, à Villefranche l’année suivante et à Saint-Moritz en 1956. Se sont-ils reposés ? Inimaginable pour un réalisateur toujours en quête d’un nouveau film. Une grande proximité existe entre 1918 et 1926, proximité dû au Groupe des Six mais aussi à la rédaction du journal Le Coq. Auric vivait encore chez ses parents (36 bis rue Lamarck) dans ces années-là, d’ailleurs leur différence d’âge (10 ans) introduit quasiment des rapports père-fils. Contraint d’effectuer son service militaire dans la caserne du Mans, Auric redoute une avancée allemande sur Paris au printemps 1918. Il lance un appel à l’aide à Cocteau : « S’il y avait un danger quelconque, je vous prie de prévenir, rue Lamarck, ma famille que je ne voudrais pas savoir dans un possible guêpier ». Un confident, peut-être un amour impossible, qui s’est révélé un vrai soutien au moment de la mort de Radiguet « Boby ». Pierre Chanel rapporte à ce sujet un mot d’Auric « Si Radiguet avait vécu, il aurait été de l’Académie française avant Cocteau et aurait voté pour lui ? ». Les deux compères s’illustreront au cinéma, par l’intégralité des films de Cocteau, nous le disions en préambule, mais aussi d’autres réalisateurs : Jean Delannoy pour L’Eternel Retour (1943) ou Pierre Billon avec Ruy Blas (1948). Cocteau écrira les dialogues et Auric la musique, preuve que le texte et la musique sont liés. Tout aussi inclassable que le poète, Auric a mis en musique 8 poèmes de Cocteau dédiés à Jane Bathori.
Il faut enfin pour conclure sur leur amitié « solide et profonde » raconter les moments orageux. Cocteau attristé de la participation éphémère d’Auric en 1919 à deux numéros de Littérature (revue de ses ennemis de toujours André Breton et Philippe Soupault), sera également dure envers le compositeur (et directeur de l’Opéra de Paris) au moment de Phèdre en 1950. Auric qui survivra à son ami n’hésitera pas à lui rendre hommage en retour à de multiples occasions.
Après les Six, l’esthétique musicale est toute autre : ce n’est pas un hasard si Auric va chercher du côté de la Pléiade. Une idée soufflée par Cocteau ? Rien n’est moins sûr. Le groupe d’écrivains français du XVIe siècle représenté par Pierre de Ronsard avait bien sûr l’objectif premier d’enrichir la langue française en créant une grande poésie française. Valorisant les formes poétiques fixes (comme le sonnet) et promouvant des thèmes humanistes (nature, amour, fuite du temps mais également mythologique), les poètes ont ainsi émancipé le Français du latin – selon le vœu de François Ier – ce à quoi Jacques Shiffrin rendra hommage en 1935 en baptisant sa prestigieuse collection d’ouvrages « Pléiade », valorisant elle aussi les belles lettres. Tout concorde…
Opéras
Hamlet d’Ambroise Thomas (1868)
Opéra en cinq actes sur un livret de Michel Carré et Jules Barbier, Hamlet d’Ambroise Thomas n’est pas une fidèle adaptation de la pièce éponyme de Shakespeare. Compositeur éclipsé par ses contemporains tels Halévy, Meyerbeer ou Gounod, il savait répondre aux attentes de son public. Ce même public aurait d’ailleurs pu juger d’une fidèle adaptation captant la « fièvre passionnée » du drame shakespearien.
Dans l’appendix qui suit l’acte V un ballet évoquant la « fête du printemps » donne une note plus gaie à la douloureuse histoire. Les chasseurs se pressent au son du cor de chasse et l’on rejoue de façon un peu potache l’histoire.
Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns (Acte I scène 6) (1877)
Grand opéra (ou oratorio ?) de Saint-Saëns sur un livret de Ferdinand Lemaire (aidé de Pauline Viardot pour le rôle de Dalila) – à la manière des oratorios de Haendel – débuté en 1859, le projet est abandonné avant d’être retravaillé huit années plus tard. La dense partie vocale utilise maintenant des leitmotiv comme dans les opéras de Wagner. Le compositeur s’est tourné vers l’Orient, comme beaucoup d’artistes de sa génération (Orient et Occident Op 25, Mélodies persanes Op 26) ce qui explique peut-être l’approche choisie ; davantage profane que sacrée. C’est Liszt qui sera le troisième à encourager l’aboutissement du projet à la suite de la guerre franco-prussienne. Mais l’histoire ne s’arrête pas là… l’œuvre est maintenant interdite par la IIIe République naissante dans un contexte tendu d’anticléricalisme. La création sous forme d’oratorio a alors lieu à l’étranger : en mai 1878 à Bruxelles et l’opéra est monté pour trois représentations à Hambourg en mars 1882. Au-delà des considérations politiques, l’importance de l’orchestre dans la partition fait redouter au public français, présent en nombre en Belgique comme en Allemagne, un opéra « symphoniste » du compositeur. Les réticences n’avaient pas lieu d’être, les critiques sont toutes encourageantes. Il faut attendre mars 1890 pour voir le chef-d’œuvre au Théâtre des Arts de Rouen, succès qui porte les représentations à 110 avant la guerre. Joann Elart rapporte les chiffres de 900 représentations entre la création et 1978, faisant ainsi de Samson et Dalila l’opéra le plus joué de Saint-Saëns.
L’intrigue
Tirée du Livre des Juges (chapitres 13 à 16), comme l’est d’ailleurs l’opéra Samson de Joachim Raff, l’histoire débute hors d’Egypte à l’époque de Josué. Le peuple d’Israël immigre en Judée et au mépris du premier commandement, il cède à nouveau au polythéisme et vénère désormais les dieux cananéens. En guise de châtiment divin, les Philistins s’emparent de la contrée.
« Voici le printemps nous portant des fleurs » chante en chœur le peuple libre à la toute fin de l’acte I. Le printemps commence, il « porte à la nature, ta parure et ton doux embonpoint » chante à son tour Dalila dans l’aria qui clos l’acte. Le sentiment amoureux suit la nature et là est le piège…

Cantate et oratorio

Les Quatre Saisons Op 5 de Joseph Bodin de Boismortier (1724)
Julien Dubruque du Centre de Musique Baroque de Versailles nous renseigne dans le livret de la dernière publication du Château de Versailles Spectacle sur le compositeur et son œuvre : « Joseph Bodin de Boismortier naquit à Thionville en 1689. On ignore presque tout de sa jeunesse. Il fit d’abord carrière comme receveur de la régie royale des tabacs en Languedoc, entre environ 1713 et 1722. Mais il composa surtout une œuvre instrumentale prolifique – plus de cent numéros d’opus – qu’il publia à Paris entre 1724 et le début des années 1740. Boismortier fut en effet l’un des premiers compositeurs à avoir vécu exclusivement de son art, par la vente de partitions gravées destinées en grand public, sans être attaché au service de l’Eglise ou d’un prince. En 1752, il se retira à Roissy, où il avait acquis, grâce à sa fortune, une belle propriété. Il y mourut en 1755 ».
Les Quatre Saisons : une « musique de chambre » ?
Ce que nous pouvons savoir des Quatre Saisons est très fragmentaire, poursuit le Docteur en musicologie. Comme souvent, dès qu’il y a plusieurs sources conservées, elles sont contradictoires. Les Quatre Saisons sont connues sous ce titre abrégé dans le catalogue des œuvres de Boismortier, mais ce n’est leur titre propre dans aucune de leurs deux principales éditions. La première consiste en fait en quatre publications séparées, avec de belles pages de titre ornées de motifs végétaux, qui varient naturellement selon les saisons :
– Le Printemps, cantate française, ou musique de chambre, avec une dédicace à la duchesse du Maine.
Les trois autres saisons ont la même appellation. Toutes parurent apparemment en 1724, mais successivement, comme l’atteste la mention sur la page de titre Printemps : « L’auteur donnera les trois autres saisons de suite, qui feront le livre entier ». Le privilège (sorte de copyright de la France classique) étant daté du 22 mars 1724, on serait tenté de penser que Boismortier publia Le Printemps… au printemps, puis les trois autres saisons… au fil des saisons, mais rien ne le prouve.
Par ailleurs, le livret est anonyme, mais nous pouvons affirmer qu’il a su guider le compositeur par son subtile jeu poétique. On n’écoutera donc certes pas Les Quatre Saisons comme de la musique plaisante, aimable, juste jolie, mais sans en perdre un mot, en admirant leur construction, en s’amusant des surprises qu’elles réservent, en un mot en savourant leur caractère inextricablement poétique et musical. Leur variété est à la fois externe, par leur structure individuelle, et interne, par les climats que le poète anonyme et Boismortier réussissent à y créer.
Voici pour finir quelques détails concernant cette première saison :
Le Printemps | |
Tessiture | Dessus (Soprano) |
« Symphonie » [Instruments obligés] | Violon ou flûte traversière [flûte à bec ad lib.] |
Accompagnement | Basse continue |
Structure | 1. Récitatif 2. Air 3. Récitaif 4. Air 5. Récitatif 6. Air |
Tonalité | Mi mineur |
La première saison s’ouvre comme de juste sur la renaissance de la nature ; mais on aurait tort de perdre l’évocation des « petits oiseaux », habilement mêlés au lieu commun de l’écho, pour un innocent gazouillement ; la mention du mythe de Philomèle, dans la partie B du premier air, offre une coloration tragique à ce retour du printemps, et convoque en même temps l’un des mythes de création du chant, de la musique… et de la cantate française. Dans la section suivante, où domine le ton relatif de sol majeur, le récitatif inhabituellement développé, avec en son centre une imitation du « chalumeau » (sorte d’ancêtre du hautbois et de la clarinette), installe un climat pastoral. Les bergers, c’est bien connu, n’ont rien d’autre à faire que de conter fleurette aux bergères : logiquement l’air « gracieux », aussi virtuose pour la voix que pour l’instrument obligé, le printemps à la renaissance de l’amour – le seul véritable sujet, comme on sait, de toute poésie lyrique. Surprise : dans le dernier récitatif, le poète passe de la troisième personne à la première personne du singulier, devenant ainsi l’amoureux d’une Philis. Enfin, le dernier air « tendre » est une déclaration d’amour qui clôt la cantate par l’habile image du printemps, des oiseaux et de l’amour marchant ensemble sur les pas de Philis. Cette troisième section offrait à l’interprète, en société, la possibilité d’un jeu : il est évident que cette Philis passe-partout pouvait être identifiée par un geste, par un clin d’œil, à une personne de l’assistance, et que le chanteur pouvait ainsi déclarer à son amante en public, aussi bien qu’une chanteuse, assumant un « je » poétique masculin, flatter la dame d’un certain âge qui organisait cette musique de chambre. En effet, même si l’écrasante majorité des cantates françaises sont notées pour une voix de dessus seul (nous dirions soprano solo aujourd’hui), les compositeurs n’hésitaient jamais à indiquer que les hautes-contre (les actuels ténors) pouvaient eux aussi s’approprier ce répertoire, en chantant à l’octave inférieure.
Die Jahreszeiten (Les Saisons) de Joseph Haydn (1801)
Dernier de ses quatre oratorios, Die Jahreszeiten (Les Saisons) suit chronologiquement Die Schöpfung (La Création) (1798) alors jouée dans toute l’Europe. Même librettiste influent – le Baron Gottfried van Swieten – reprenant un poème de James Thomson. Il cause bien du tort au maestro malade. Georg August Griesinger, l’un des biographes du compositeur, évoque justement l’attitude d’Haydn envers le « texte non poétique » réponse de deux années de travail.
La création en avril 1801 au Stadtpalais Schwarzenberg de Vienne reste un succès relatif puisque l’œuvre est bien moins jouée – déjà du vivant d’Haydn – que la précédente. Pourquoi ? A l’époque les oratorios étaient typiquement écrits sur des thèmes bibliques ou des histoires saintes. Le sujet est ici profane. En effet, seul le mouvement final aborde la signification de la vie (donc de la vie éternelle). Il s’agit d’un ajout personnel du Baron. Le contenu des Saisons ne correspond donc ni à un oratorio à caractère religieux, ni à l’idéal d’une œuvre d’art dans l’esprit des Lumières. Par ailleurs, le Baron a donné des instructions trop strictes pour l’écriture. Dans une lettre à August Eberhard Müller, repris dans l’édition Breitkopt & Härtel, il est question du tercet « Und aus dem Sumpfe quakt der Frosch » (et du marais, la grenouille croasse) et du choeur « Die düstren Wolken trennen sich » (les nuages sombres se séparent) :
Ce passage entier comme imitation d’une grenouille n’est pas sorti de ma plume ; il m’a été imposé d’écrire ce quark français ; avec tout l’orchestre, cette misérable idée disparaîtra bientôt, mais elle ne subsistera pas comme extrait de clavier.
Le qualificatif de « français » se réfère selon Griesinger, au compositeur Grétru, qui aurait alors soufflé l’idée au librettiste.
L’œuvre en quatre parties (représentant les quatre saisons) s’ouvre par le printemps sur une introduction orchestrale éclatante, évoquant la fonte des neiges et le réveil de la nature. Par cette orchestration colorée signature du compositeur et des motifs musicaux vivants, Haydn illustre le chant des oiseaux, le murmure des ruisseaux et l’exubérance du renouveau printanier. Les solistes – basse (Simon), ténor (Lukas) et soprano (Hanne) – incarnant des paysans expriment avec simplicité et émerveillement la joie du retour des beaux jours, tandis que le chœur célèbre la grandeur de la nature et la gratitude envers la Providence. Alternant passages lyriques et rythmes dansants, la musique traduit une atmosphère pastorale et lumineuse, typique du style classique viennois. Après les labours, on demande la bénédiction et la pluie. Le printemps s’achève justement par un chant de joie.
Chœur
Chanson : Rose, liz, printemps, verdure de Guillaume de Machaut (XIVe siècle)
Rose, liz, printemps, verdure, Fleur, baume et tres douce odour,
Bele, passés en douçour,
Et tous les biens de Nature,
Avez dont je vous aour.
Rose, liz, printemps, verdure,
Fleur, baume et tres douce oudour.
Et quant toute creature
Seurmonte vostre valour,
Bien puis dire et par honnour:
Rose, liz, printemps, verdure,
Fleur, baume et tres douce oudour,
Bele, passés en douçour.
Représentant de l’Ars Nova au XIVe siècle, cette œuvre écrite pour quatre voix, illustre le raffinement de la polyphonie médiévale, avec une superposition fluide des lignes mélodiques et une indépendance rythmique remarquable. La structure AAB, typique des ballades, met ici en valeur le texte lyrique du compositeur exaltant la nature et l’amour courtois, thèmes récurrents chez Machaut. La richesse harmonique et la précision rythmique de la composition témoignent de l’évolution musicale de l’époque.
À travers cette poésie raffinée et imagée, Guillaume de Machaut célèbre la beauté à travers des métaphores naturelles (rose, lys et printemps), renforçant l’intertextualité par des ornementations mélodiques expressives en ut Majeur.
Cette pièce illustre non seulement l’apogée de la musique profane médiévale, mais aussi l’influence durable de Machaut sur les compositeurs ultérieurs, marquant ainsi une transition essentielle vers les formes musicales de la Renaissance.

De tous les printemps du monde (Figure humaine) de Francis Poulenc (1943)
Francis Poulenc compose en pleine Seconde Guerre mondiale – en parallèle d’un concerto pour violon à la demande de Ginette Neveu – une cantate pour double chœur a cappella (Figure humaine) sur des vers de Paul Eluard. C’est la 34e fois que le poète surréaliste connaîtra une transposition musicale sous la plume de Poulenc.
Exprimant à la fois la « souffrance du peuple de France » réduit au silence et l’espoir du « triomphe final de la liberté sur la tyrannie », Figure humaine marque un point d’honneur à la résistance culturelle française. Dans une lettre à son amie la Princesse de Polignac, il confie :
Je crois que c’est ce que j’ai fait de mieux. C’est en tout cas une œuvre capitale pour moi si elle ne l’est pas pour la musique française.
Dédié à Pablo Picasso, dont il « admire l’œuvre et la vie », le cycle débute par De tous les printemps du monde. Il illustre parfaitement l’esthétique du compositeur ; mêlant une harmonie raffinée, un lyrisme délicat et une simplicité (apparente) qui masque une grande subtilité musicale. Ces mouvements métaphoriques renvoient bien sûr à la brise printanière et à l’effervescence de la nature. Les figuralismes, c’est-à-dire les images musicales se conjuguent à la subtile harmonie, parfois teintée de surprises modales ou d’inflexions chromatiques. Tous ces éléments apportent à la mélodie une richesse expressive sans jamais sombrer dans l’excès. Cette écriture si particulière, à la fois simple et sophistiquée, s’inscrit dans la tradition française du mélodisme – tradition héritée de Debussy et Fauré – mais avec la touche personnelle de Poulenc : un mélange de tendresse, d’ironie et de profondeur.
Piano seul
Les Saisons Op 37a de Piotr Illitch Tchaïkovsky (1876)
Cycle de pièces pianistiques écrit à la demande de l’éditeur du Nouvelliste, un magazine musical mensuel de Saint-Pétersbourg, la commande est originale : écrire un morceau par mois, peignant un tableau poétique de chaque mois concerné. Son domestique, Nikolaï Kachkine raconte que le compositeur trouve la tâche simple et insignifiante. Ce dernier rappelait en effet chaque mois : « C’est l’heure de votre envoi à Saint Pétersbourg ». Le pianiste s’exécutait et écrivait d’un seul jet une courte pièce. Chaque morceau est précédé d’une épigraphe : Pouchkine, Viazemski, Maïkov, Fet, Pletcheiev, Koltsov, Tolstoï, Nekrassov, Joukovski.
Quelques pépites vous attendent encore…
Victor-Emmanuel HUSS