Roland Pidoux, violoncelliste, pédagogue et chef d’orchestre français, s’est éteint le 21 septembre 2025 à l’âge de 78 ans, laissant derrière lui un héritage musical et humain d’une richesse inestimable.
Né le 29 octobre 1946 à Paris, il a marqué plusieurs générations de musiciens par son art, son enseignement et sa passion pour la musique de chambre. Sa carrière, à la fois éclectique et exigeante, s’est déployée sur les scènes internationales, dans les plus grands orchestres, et surtout dans les salles de classe du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP), où il a formé des centaines d’élèves, dont son propre fils, Raphaël Pidoux, aujourd’hui violoncelliste acclamé.
« La musique est un miracle quotidien. À nous de le faire vivre. »
La nouvelle de sa disparition a profondément ému la communauté musicale. Les hommages se multiplient, saluant à la fois l’artiste, le professeur et l’homme, dont la générosité et l’engagement ont transcendé les frontières de la musique classique. Roland Pidoux incarne une certaine idée de l’excellence à la française : rigueur, curiosité, et une constante recherche de la beauté sonore.

Roland Pidoux grandit dans un Paris d’après-guerre, baigné très tôt dans l’univers musical. Son enfance est marquée par une sensibilité précoce aux sons et aux émotions que peut transmettre un instrument. C’est au Conservatoire de Paris, institution mythique, qu’il commence sa formation. Dès son plus jeune âge, il se distingue par une maturité et une discipline rares, obtenant ses premiers diplômes en 1965 et 1966, sous la direction de maîtres illustres : André Navarra, Jean Hubeau et Joseph Calvet. Ces figures tutélaires lui transmettent non seulement une technique irréprochable, mais aussi une vision humaniste de la musique, où l’interprétation est au service de l’émotion et de la communication avec le public.
Au Conservatoire, Roland Pidoux se nourrit de l’enseignement d’André Navarra, lui-même élève de Pablo Casals, et héritier d’une tradition violoncellistique européenne exigeante et généreuse. Navarra lui lègue un sens aigu du phrasé, une sonorité chaude et enveloppante, ainsi qu’une approche physique du violoncelle qui privilégie le naturel et l’efficacité. Jean Hubeau et Joseph Calvet, quant à eux, lui ouvrent les portes de la musique de chambre, un domaine qui deviendra l’un des piliers de sa carrière. Ces années d’apprentissage forgent chez lui une identité musicale unique, à la croisée de la rigueur classique et de l’audace interprétative. Dès la fin de ses études, Roland Pidoux s’impose comme l’un des jeunes talents les plus prometteurs de sa génération. En 1968, il fonde avec Jean-Pierre Wallez l’Ensemble Instrumental de France, qui deviendra plus tard l’Ensemble Orchestral de Paris. Cette aventure collective lui permet de développer une polyvalence rare : il y est à la fois soliste, chambriste et chef d’orchestre en herbe. Son intégration, l’année suivante, à l’Orchestre de l’Opéra de Paris, puis son engagement comme violoncelle solo à l’Orchestre national de France (1978-1987), confirment son statut de musicien complet, capable de s’adapter à tous les répertoires et à toutes les formations.
Carrière musicale : Un parcours d’exception

Roland Pidoux rejoint l’Orchestre de Paris dans les années 1970, une période faste pour la vie musicale française. Il y côtoie les plus grands chefs, dont Daniel Barenboim, avec qui il noue une relation artistique privilégiée. Barenboim, alors directeur musical, reconnaît en lui un musicien d’une intelligence et d’une réactivité exceptionnelles. Leur collaboration, notamment dans les œuvres symphoniques et concertantes, est saluée par la critique et le public. Pidoux y affine son sens de l’écoute et de l’équilibre, des qualités qui feront de lui un chambriste recherché et un pédagogue attentif. En 1971, Roland Pidoux cofonde le Quatuor Via Nova, aux côtés de Régis Pasquier (violon), Bruno Pasquier (alto) et Jean-Pierre Wallez (deuxième violon). Cette formation, qui s’illustre pendant près de dix ans, devient l’une des références de la musique de chambre française.
Le Quatuor Via Nova se produit sur les scènes internationales, de l’Europe aux États-Unis, et enregistre un répertoire exigeant, allant de Haydn à Bartók. Leur interprétation des quatuors de Beethoven, en particulier, est encore aujourd’hui considérée comme une référence pour son équilibre, sa cohésion et sa profondeur interprétative. Parallèlement, Roland Pidoux participe au Trio Pasquier, aux côtés de Régis et Bruno Pasquier, et forme un trio piano et cordes avec Jean-Claude Pennetier et Régis Pasquier. Ces ensembles lui permettent d’explorer un répertoire varié, du classique au romantique, en passant par la musique française (Fauré, Ravel, Debussy). Ses enregistrements, notamment ceux des trios de Beethoven et Rachmaninov, sont salués pour leur justesse, leur élégance et leur intensité émotionnelle.
Tout au long de sa carrière, Roland Pidoux collabore avec les plus grands noms de la musique classique : Jean-Pierre Rampal, Trevor Pinnock, Mstislav Rostropovitch, et bien d’autres. Ces rencontres enrichissent son jeu et élargissent son horizon artistique. Il se produit également en soliste avec les plus grands orchestres, interprétant les concertos de Dvořák, Saint-Saëns, ou encore Schumann, avec une présence scénique et une autorité qui captivent les auditoires.
À partir de la fin des années 1980, Roland Pidoux se consacre de plus en plus à l’enseignement. Nommé professeur au CNSMDP en 1988, il y enseignera jusqu’en 2012, formant des générations de violoncellistes. Son approche pédagogique, à la fois exigeante et bienveillante, repose sur plusieurs principes :
- La technique au service de la musique : Pour Pidoux, la virtuosité n’a de sens que si elle est mise au service de l’expression.
- L’écoute et le dialogue : Il insiste sur l’importance de la musique de chambre pour développer l’écoute mutuelle et la réactivité.
- La transmission d’une tradition : Il se voit comme un maillon dans une chaîne qui relie les grands maîtres du passé aux jeunes talents d’aujourd’hui.
Parmi ses élèves, on compte des musiciens aujourd’hui renommés, comme son fils Raphaël, mais aussi Emmanuelle Bertrand, Xavier Phillips, ou encore François Salque. Son influence s’étend bien au-delà de la France : il donne des masterclasses en Chine, au Japon, au Brésil, et contribue ainsi à diffuser l’école française du violoncelle à travers le monde.
Enregistrements emblématiques et répertoire
Roland Pidoux a laissé une discographie riche et variée, témoignant de sa curiosité et de son éclectisme. Parmi ses enregistrements les plus marquants, on peut citer :
- L’intégrale des sonates et variations pour violoncelle et piano de Beethoven, avec Jean-Claude Pennetier : une référence pour son équilibre, sa clarté et sa profondeur.
- Les trios de Ravel et Fauré, où son jeu allie élégance et passion.
- Les œuvres pour violoncelle seul de Bach, qu’il aborde avec une humilité et une intériorité rares.
- Les transcriptions pour ensembles de violoncelles, qu’il réalise et interprète avec brio, notamment avec l’octuor « Les Violoncelles Français », fondé à l’initiative de son fils Raphaël.
Ces enregistrements, souvent primés, illustrent sa capacité à s’approprier des œuvres de toutes époques, du baroque au contemporain, avec une même exigence de vérité et d’authenticité
Roland Pidoux a toujours défendu la musique de son temps. Il travaille avec des compositeurs comme Henri Dutilleux, Maurice Ohana, ou encore Jean-Pascal Chaigne, et participe à la création d’œuvres qui deviendront des classiques du répertoire. Son ouverture d’esprit et sa curiosité lui permettent de toucher un public large et varié, tout en restant fidèle à ses convictions artistiques.