François-Frédéric Guy nous fait part par l’intermédiaire de son compte Facebook de la triste nouvelle. « Un seigneur… » écrit-il. La Scala lui avait emboîté le pas en annonçant en début de journée la mort de « l’un des grands musiciens de notre temps et une référence fondamentale dans la vie artistique du Théâtre depuis plus de cinquante ans ».
Débutant le piano avec Carlo Lonati, il change lors de son treizième anniversaire à la mort de son père – un architecte moderniste – pour Carlo Vidusso. Il restera avec ce dernier pendant cinq années avant de rejoindre le Conservatoire de Milan, sa ville native. Il remporte à Seregno en 1959 le Concours international Ettore Pozzoli et l’année suivante le premier prix du concours Chopin de Varsovie. Arthur Rubinstein qui présidait le jury lui souffle : « Ce garçon peut jouer du piano mieux que n’importe lequel d’entre nous ». Suivant à la lettre ce conseil, Pollini se retire de la scène pour parfaire son jeu. Epaulé par Arturo Benedetti Michelangeli dont on dit qu’il a acquis « une technique précise et une retenue émotionnelle », il enregistre le premier concerto de Chopin avec Paul Kletzki et le Philharmonia Orchestra. Lorsqu’on lui propose une série de concerts, Pollini connaît ce que le producteur d’EMI Peter Andry a appelé « une apparente crise de confiance ». Il préfère désormais limiter ses activités de concertiste afin d’élargir son répertoire.
L’excellence pianistique
Maurizio Pollini fait ses débuts aux Etats-Unis en 1969 et sa première tournée au Japon en 1974. A l’occasion du tricentenaire de Jean-Sébastien Bach, il interprète l’intégralité du premier livre du Clavier bien tempéré. En 1987, il choisit l’intégrale des concertos pour piano de Beethoven qu’il donne à New York en compagnie de Claudio Abbado. A cette occasion, il reçoit l’anneau d’honneur de l’orchestre philharmonique de Vienne. L’héritage beethovénien s’exporte à Berlin, ville dans laquelle Pollini ressuscite les sonates du maître, puis à Munich, New York, Milan, Paris, Londres et Vienne. Sur les routes il emporte un « Fabbrini », l’un des pianos de Steinway&Sons. Au festival de Salzbourg en 1995, il inaugure le « Porgetto Pollini », une série de concerts juxtaposant des œuvres anciennes et modernes. Une série analogue a lieu au Carnegie Gall (Perspectives) en 2000 et au Royal Festival Hall de Londres en 2010. Tout au long de sa carrière, il a défendu l’interprétation d’œuvres peu connues ou oubliées. En mars 2012, il annule pour raisons de santé ses projets outre-Atlantique. Son fils, Daniele Pollini, né en 1978 marche dans ses pas puisqu’il est également devenu pianiste.
Un engagement politique
Au cours des années 1960, Pollini se rapproche de Luigi Nono. Devenu un activiste de la gauche italienne, une œuvre témoigne en 1972 de leur collaboration ; Como una ola de fuerza y luz rendant ainsi hommage à Luciano Cruz, un dirigeant du Front révolutionnaire chilien. Ces concerts à la Scala aux côtés d’Abbado sont avant tout destinés aux étudiants et aux travailleurs. Son idée était d’amener un nouveau public, parce que l’art n’a pas de frontières sociales. Un récital a également suscité de vifs échanges entre son public et la police. Pollini avait évoqué la Guerre du Viêt Nam.
(re)découvrir Pollini en dix disques…
Sur son premier enregistrement pour Deutsche Grammophon en 1971, on trouve côte à côté les trois mouvements de Petrouchka de Stravinsky et la septième sonate de Prokofiev. Lorsqu’il signait pour le label allemand, il souhaitait « rendre aussi fidèlement que possible la partition » ce qu’il fait absolument dans l’intégrale des concertos de Beethoven. En 2001, ses Variations Diabelli lui confèrent un Diapason d’or, prestigieuse récompense qu’il peut désormais afficher à côté du Prix Ernest von Siemens, l’équivalent du Nobel en musique. Comment oublier ensuite les incontournables Nocturnes de Chopin, ici aussi saluées par le Grammy Award de la meilleure performance de soliste. Enfin remarquons l’intégrale de l’œuvre pianistique d’Arnold Schönberg, des disques à (re)écouter sans attendre.
Victor-Emmanuel HUSS
(Ré)écoutez l’émission spéciale consacrée au pianiste juste ici :