
PAR SAMUEL AZNAR
Théâtre de Colmar
Marianna Martinez : Sant’Elena
11 juin 2021
Karen Barbaux (Hélène), Julie Dey (Eustazio), Myriam Djemour (Eudossa), Stefan Sbonnik (Macario), Jean-Christophe Fillol (Draciliano), Orchestre de Chambre de Colmar, Cyril Pallaud (direction)
Enfin nous y sommes ! L’attente aura été longue, semée d’incertitudes et de reports en série, mais voici qu’avec l’arrivée des beaux jours s’est confirmée la réouverture des salles de spectacle et le retour providentiel d’une musique vivante, incarnée. Comme nous, l’Orchestre de Chambre de Colmar avait pris son mal en patience, fourbissant ses archets, ses claviers et ses bois, dans l’espoir de retrouver un jour l’agitation propre aux soirs de concert. C’est chose faite ce vendredi 11 juin, avec la « re » création mondiale d’une œuvre oubliée de tous ou presque : Sant’Elena, ou Hélène, un oratorio de Mariana Martinez, compositrice autrichienne contemporaine de Mozart et Haydn.
L’ensemble colmarien, créé en 2019 par l’organiste et chef d’orchestre Cyril Pallaud, et se vouant à la redécouverte d’œuvres du répertoire baroque et classique, avait en effet profité du dernier confinement en date pour exhumer ce manuscrit du tombeau où l’avait laissée croupir une histoire de la musique largement dominée – il faut bien le dire – par les hommes. Il s’agit ici d’un oratorio en deux actes racontant la découverte du Saint Sépulcre par la mère de l’empereur Constantin, au IVe siècle de notre ère, découverte qui jettera les bases du christianisme naissant. Passés le protocole sanitaire et les quelques minutes précédant la levée de rideau, les musiciens en chair et en os apparaissent enfin sous les applaudissements, et la musique résonne à nouveau dans le théâtre à l’italienne de Colmar.
Dès les premiers numéros se fait sentir l’influence mozartienne de la composition, passant de la légèreté à la gravité au rythme du récit, et conservant toujours une dimension opératique du fait de la place prépondérante des récitatifs. Le choix assumé par Cyril Pallaud de les intégrer dans leur longueur d’origine nous donne la sensation d’avoir une action se déroulant juste sous nos yeux, mais une action à laquelle il ne manquerait que la mise en scène… Il en résulte donc un côté statique et répétitif, heureusement contrebalancé par l’engagement indéfectible du continuo. Les cinq personnages récurrents de l’histoire se partagent tour à tour le devant de la scène : Hélène surtout, interprétée par Karen Barbaux, mais aussi Eustazio, interprété par Julie Dey, dont le timbre clair et précis donnera lieu à de belles vocalises. Côté masculin, Stefan Sbonnik se remarque par le raffinement de son expressivité, et Jean-Christophe Fillol par la profondeur de ses basses. Enfin, avec son timbre chaud propre aux contre-alti, et sa présence scénique généreuse, Myriam Djemour en Eudossa se distinguera par des prises de risques dans les aigus très appréciées du public.
Beau succès que cette Hélène sous la baguette historiquement inspirée de Cyril Pallaud ; on saluera tout particulièrement le travail d’édition (partition, livret) mené par l’ensemble en quelques mois seulement, et l’on attend avec impatience que l’Orchestre de Chambre de Colmar nous fasse redécouvrir d’autres compositrices oubliées de l’histoire.
Samuel Aznar
Critique musical
* Diffusion sur Accent 4, le 15 juillet à 18h.