Ennio Morricone (1928-2020) reste l’un des compositeurs les plus influents et prolifiques du XXe siècle, dont l’œuvre transcende les frontières entre musique de film, musique classique et avant-garde. Avec plus de 500 partitions à son actif, il a révolutionné la bande originale, élevant la musique de film au rang d’art majeur. Son style, à la fois lyrique, expérimental et profondément humain, a marqué des générations de cinéastes, de musiciens et de mélomanes.
À l’occasion du spectacle « Ennio Morricone & le cinéma italien » donné à Strasbourg le 23 octobre 2025 par le Band Original Orchestra, dirigé par Romain Theret, il est temps de plonger dans l’univers du Maestro, d’analyser ses œuvres cultes et de découvrir comment son héritage continue de résonner aujourd’hui. Le spectacle, mis en espace par Nathalie Spinosi, ne se contente pas de jouer les partitions : il raconte l’histoire de Morricone à travers des anecdotes, des archives et des projections. Un comédien incarne le Maestro, lisant des extraits de ses entretiens et dévoilant les coulisses de ses compositions. Le public est ainsi plongé dans l’intimité créative du compositeur, découvrant l’homme derrière la légende.
Né à Rome le 10 novembre 1928, Ennio Morricone grandit dans une famille modeste où la musique occupe une place centrale. Son père, trompettiste professionnel, lui transmet très tôt le goût de l’instrument. À seulement 12 ans, il intègre le Conservatoire Santa Cecilia, où il étudie la trompette, la composition et la direction d’orchestre. Il y suit notamment les enseignements de Goffredo Petrassi, figure majeure de la musique contemporaine italienne, qui lui inculque une rigueur et une ouverture d’esprit déterminantes pour sa future carrière. Morricone y obtient des premiers prix en trompette, composition et instrumentation, avant de se tourner vers l’écriture musicale pure et la direction d’orchestre.
Avant de devenir le compositeur de cinéma que l’on connaît, Morricone explore la musique dite « sérieuse ». Dès les années 1950, il compose des pièces de musique de chambre, des concertos et des œuvres pour orchestre, souvent teintées d’atonalité et d’expérimentation.
Il rejoint également le groupe d’improvisation Nuova Consonanza, qui promeut la musique contemporaine et l’utilisation de sons concrets et électroniques. Cette période est marquée par des œuvres comme son Concerto per orchestra (1957) ou ses Variations pour violoncelle, piano et hautbois (1956), où il expérimente des langages musicaux audacieux, loin des sentiers battus.
C’est en 1961 que son nom apparaît pour la première fois au générique d’un film, Il Federale de Luciano Salce. Mais c’est sa collaboration avec Sergio Leone, un ancien camarade d’école, qui va changer le cours de sa carrière. Leone lui confie la musique de Pour une poignée de dollars (1964), premier volet de ce qui deviendra la « trilogie du dollar ». Morricone y invente un son nouveau, mêlant guitares électriques, sifflements, chœurs et bruitages, qui bouleverse les codes du western et du cinéma en général.

La révolution Morricone : une nouvelle langue musicale pour le cinéma
Avec Pour une poignée de dollars, Pour quelques dollars de plus (1965) et Le Bon, la Brute et le Truand (1966), Morricone impose une signature sonore unique. Il introduit des instruments inhabituels (harmonica, guitare électrique, cloche, fouet) et utilise la musique comme un personnage à part entière, capable de raconter une histoire et de définir l’identité des personnages. Le thème de L’Ecstase de l’or, dans Le Bon, la Brute et le Truand, est un exemple frappant de cette approche : la montée en puissance des cuivres, des chœurs et des percussions crée une tension dramatique inégalée, tandis que le sifflement de l’harmonica, interprété par Franco De Gemini, devient l’emblème du genre.

Considéré comme l’apogée de sa collaboration avec Leone, Il était une fois dans l’Ouest est une partition symphonique d’une richesse inouïe. Le thème principal, joué à l’harmonica par Charles Bronson, est construit sur trois notes seulement, mais son impact émotionnel est immense. Morricone y mêle lyrisme, violence et poésie, avec des passages atonaux et des citations de musique classique (comme le Dies Irae médiéval).
Anecdote : Le réalisateur diffusait la musique sur le plateau pendant le tournage pour immerger les acteurs dans l’atmosphère du film. La scène d’ouverture, où trois hommes attendent un train dans une gare déserte, est entièrement rythmée par la partition, qui devient ainsi un élément narratif à part entière.
Morricone ne se limite pas au western. Il compose pour des films d’horreur (L’Exorciste 2), des drames historiques (1900 de Bertolucci), des polars (Le Clan des Siciliens), des comédies (La Cage aux folles) et des films d’auteur (Théorème de Pasolini). Chaque partition est adaptée au sujet, mais porte sa griffe : une recherche mélodique méticuleuse, une orchestration inventive et une profonde compréhension du récit.
Exemples marquants :
- Sacco et Vanzetti (1971) : La chanson Here’s to You, interprétée par Joan Baez, devient un hymne politique.
- Le Professionnel (1981) : Le thème Chi Mai, pour violon et orchestre, est un modèle d’écriture mélodique et d’émotion pure.
Mission (1986) : La bande originale, avec le célèbre Gabriel’s Oboe, est une méditation sur la foi et la rédemption, mêlant chœurs sacrés et mélodies envoûtantes
Morricone et la musique classique : un dialogue constant
Parallèlement à ses compositions pour le cinéma, Morricone n’a jamais cessé d’écrire de la musique « pure ». Il a composé plus de 100 œuvres de concert, dont des cantates, des quatuors à cordes, des concertos et des pièces pour piano. Parmi elles, citons :
- Cantate pour l’Europe (1988)
- Missa Papae Francisci (2015), dédiée au pape François
- Ut (1991), pour trompette, trombone et orchestre.
Ces œuvres, souvent atonales ou sérielles, révèlent un compositeur exigeant, en dialogue avec les grands noms de la musique contemporaine (Webern, Stockhausen).
Morricone a toujours revendiqué l’influence de compositeurs classiques comme Beethoven, Mahler, Respighi et Stravinsky. Dans La Poursuite implacable (1973), il cite ainsi la Cinquième Symphonie de Beethoven, tandis que The Mission s’inspire de la polyphonie sacrée de la Renaissance.
En 2007, il reçoit un Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière, puis un Oscar de la meilleure musique originale pour Les Huit Salopards de Quentin Tarantino en 2016. Il est également fait chevalier de la Légion d’honneur en France et reçoit de nombreux prix internationaux.
Morricone a influencé des générations de compositeurs, de Hans Zimmer à Alexandre Desplat, en passant par des artistes pop et rock comme Metallica, Muse ou Radiohead. Son utilisation innovante des instruments, des voix et des bruitages a ouvert de nouvelles voies pour la musique de film. Ses thèmes sont aujourd’hui des classiques, repris en concert par des orchestres symphoniques du monde entier. Des artistes comme Yo-Yo Ma, Andrea Bocelli ou Celine Dion ont enregistré ses œuvres, tandis que des hommages lui sont régulièrement rendus, comme l’album We All Love Ennio Morricone (2007), où des stars internationales interprètent ses plus grands succès.
Au-delà de son génie musical, Morricone restera comme un artiste profondément humain, capable de toucher l’âme de millions de personnes. Comme il le disait lui-même :
« La musique doit émouvoir, surprendre, faire réfléchir. Elle doit être vivante. ».
Ennio Morricone a transcendé les genres et les époques, laissant une œuvre aussi vaste que profonde. Le spectacle de Strasbourg est une occasion unique de redécouvrir son univers, entre lyrisme et avant-garde, émotion et rigueur. Pour les mélomanes avertis, c’est aussi l’opportunité de mesurer l’étendue de son talent, bien au-delà des clichés du western spaghetti.

Rendez-vous le 23 octobre 2025 au Palais de la Musique et des Congrès de Strasbourg, pour un voyage inoubliable au cœur de la musique d’Ennio Morricone.
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