La musique n’a pas besoin d’artifice. Elle exige de la sincérité, de la clarté, et du respect.
Christoph von Dohnányi
C’est avec une émotion profonde que le monde de la musique classique apprend le décès de Christoph von Dohnányi, survenu le 6 septembre 2025 à Munich, à seulement deux jours de son 96ᵉ anniversaire. Chef d’orchestre allemand d’exception, d’une éloquence tout en précision, il laisse derrière lui une trace indélébile dans l’histoire des orchestres et de l’opéra.

Né à Berlin le 8 septembre 1929 au sein d’une famille marquée par l’histoire allemande, Dohnányi représentait le symbole d’une mémoire vivante. Son père, Hans von Dohnányi, et son oncle, Dietrich Bonhoeffer, furent exécutés pour leur participation à la résistance anti-nazie. Cette tragédie, vécue à l’adolescence, a infusé chez lui une dimension éthique rarement dissociable de son art.
Il étudie d’abord le droit à Munich, avant de se tourner vers la musique. Élève de la Hochschule für Musik und Theater de Munich, il remporte en 1951 le prestigieux Prix Richard Strauss, puis se rend aux États-Unis pour travailler auprès de son grand-père, le compositeur et pianiste Ernst von Dohnányi.
De l’opéra au symphonique — l’affirmation d’un style
De retour en Allemagne, il débute comme assistant-répétiteur à l’Opéra de Francfort sous la houlette de Georg Solti. Rapidement, il prend des responsabilités croissantes et dirige successivement l’Opéra de Lübeck, puis l’Opéra d’Hambourg (1977–1984). Ses choix esthétiques tranchés et son attachement à la vérité dramatique font de lui une figure essentielle du Musiktheater.
En 1984, Dohnányi devient directeur musical du Cleveland Orchestra. Pendant dix-huit ans, il forge une sonorité unique, souple et claire. Il hérite d’un orchestre d’une précision légendaire depuis George Szell, mais il lui insuffle une respiration nouvelle. Il mène des tournées triomphales, enregistre abondamment (Beethoven, Brahms, Mendelssohn, Bruckner, Wagner) et contribue à la rénovation de Severance Hall, rendant à Cleveland son éclat acoustique.
Sa discographie avec Cleveland et le Philharmonia est immense. On y trouve des intégrales de Brahms et Mendelssohn, mais aussi des pages modernes de Bartók et Hindemith. Un projet ambitieux d’enregistrement du Ring de Wagner fut entamé, mais jamais achevé. Ce choix avorté illustre à la fois les limites de l’industrie discographique et la hauteur de ses ambitions.
Après Cleveland, Dohnányi poursuit une carrière de chef invité, régulièrement invité par les grands orchestres américains et européens : Boston, Chicago, New York, Philadelphie, Vienne, Hambourg, Paris. Il entretient une relation privilégiée avec la Philharmonia de Londres, dont il devient chef honoraire à vie en 2008.
Visionnez l’entretien donné à la télévision allemande ci-dessous :
Son style était d’une sobriété presque déconcertante. Pas de gestes spectaculaires, pas d’effets. Seulement la musique, servie avec rigueur et poésie.
Le critique Richard Dyer écrivait après un concert à Cleveland :
« Chaque changement d’idée, de couleur, de ritournelle, était à la fois préparé et suivi naturellement, précisément, magiquement.»
Christoph von Dohnányi fut marié trois fois, notamment avec la soprano Anja Silja, et laissa cinq enfants. Il restait cependant discret sur sa vie personnelle, préférant laisser son œuvre parler pour lui.