RETOUR DE PÉLERINAGE
Bayreuth
Festspielhaus
Richard Wagner : Parsifal
15 août 2019
Ryan McKinny (Amfortas), Wilhelm Schwinghammer (Titurel), Günther Groissböck (Gurnemanz), Andreas Schager (Parsifal), Derek Welton (Klingsor), Elena Pankratova (Kundry), Uwe Eric Laufenberg (mise en scène), Jessica Karge (costumes), Reinhard Traub (lumière), Orchestre du Festival de Bayreuth, Semyon Bychkov (direction musicale)
Qu’il est difficile de concevoir le parfait spectacle d’opéra ! Voici la réflexion qui me vient alors que j’achève la découverte d’une série de trois productions wagnériennes à Bayreuth. On a beau se trouver au Temple de la Wagnérie, si les sources de ravissement ne manquent pas, on aura irrémédiablement matière à redire.
Parsifal repose surtout sur les voix : on entend un merveilleux Gurnemanz incarné par Günther Groissböck tout en ligne et en déclamation, un Parsifal interprété avec fièvre et puissance par Andreas Schager, et une Kundry superbe en la personne d’Elena Pankratova, relayant l’ambiguïté du personnage de pécheresse repentante par des graves sépulcraux et des aigus incandescents. Les chœurs, dirigés comme toujours par Eberhard Friedrich, sont si miraculeux que la seule promesse de les entendre justifierait un pèlerinage à Bayreuth. Et puis il y a l’orchestre, dirigé excellemment par le coloriste Semyon Bychkov. Tous les indicateurs seraient au vert s’il n’y avait pas eu la mise en scène transposant l’action à l’époque contemporaine au cœur d’une zone de conflit, chez les chrétiens du Moyen-Orient. Ce parti-pris cohérent mais peu enthousiasmant, devient carrément problématique lorsque le 2e acte flirte avec l’islamophobie. Le festival scénique sacré de Wagner mérite mieux qu’une telle stigmatisation.
Tristan und Isolde
16 août 2019
Stefan Vinke (Tristan), Petra Lang (Isolde), Georg Zeppenfeld (Marke), Greer Grimsley (Kurwenal), Raimund Nolte (Melot), Christa Mayer (Brangäne), Katharina Wagner (mise en scène), Thomas Kaiser (costumes), Reinhard Traub (lumière), Orchestre du Festival de Bayreuth, Christian Thielemann (direction musicale)
Toute aussi critiquable est la vision de Tristan par Katharina Wagner. Tout y est noir – logique puisque les deux héros appellent sans arrêt la nuit de leurs vœux. Mais ce n’est pas parce qu’on s’appelle Wagner qu’on peut briser ainsi la plus belle histoire d’amour qui soit à l’opéra : comment peut-on traiter cette passion avec autant de froideur ? Pire encore, comment peut-on commettre le sacrilège ultime qui consiste à changer la fin de l’œuvre, cette fin sublime qui proclame l’union des amants dans la mort, et que voilà foulée aux pieds lorsqu’Isolde, bien vivante, est traînée hors scène par Marke à l’issue de sa dernière note ? Heureusement qu’il y a l’orchestre dirigé par Christian Thielemann, livrant la version la plus intense et émouvante que je connaisse de cette œuvre. Entendue dans l’acoustique unique du Festspielhaus, cela donne l’une des expériences les plus inoubliables que peut vivre un amateur de musique. Sans compter que les voix amples et chaleureuses des rôles titre incarnés par Stefan Vinke et Petra Lang s’intègrent parfaitement à ce merveilleux bain musical dont on aimerait ne jamais avoir à sortir. Vraiment, cette production gagne à être écoutée les yeux fermés ; gageons qu’elle aura un beau succès au disque !
Tannhäuser
17 août 2019
Stephen Milling (Hermann, Landgraf von Thüringen), Stephen Gould (Tannhäuser), Markus Eiche (Wolfram von Eschenbach), Lise Davidsen (Elisabeth), Elena Zhidkova (Venus), Tobias Kratzer (mise en scène), Rainer Sellmaier (costumes), Manuel Braun (vidéo), Reinhard Traub (lumière), Orchestre du Festival de Bayreuth, Valery Gergiev (direction musicale)
Rouvrons grands les yeux pour la dernière soirée, consacrée à Tannhäuser, dont la mise en scène par Tobias Kratzer est d’une admirable créativité, intégrant aux côtés d’une Vénus libertaire un drag-queen noir nommé Le Gâteau Chocolat et le nain Oskar, l’enfant qui refuse de grandir du Tambour de Günther Grass, et jouant avec humour avec l’idée de théâtre dans le théâtre. Ajoutons au crédit de cette production une distribution vocale quasiment idéale. Mention spéciale à Lise Davidsen, admirable Elisabeth alliant puissance et pureté lumineuse. À ses côtés, Stephen Gould campe un Tannhäuser solide et nuancé, et Markus Eiche un Wolfram élégant et poétique. Tous recevront une juste ovation du public, tandis qu’à Valery Gergiev revient l’honneur de s’attirer le tollé le plus nourri de la soirée. Il faut dire que le chef sert une version sage et sans intérêt de l’œuvre, ce qui est d’autant plus décevant qu’il est aux antipodes de celle proposée sur scène.
Vraiment, qu’il est difficile de concevoir le parfait spectacle d’opéra ! Espérons qu’un nouveau cycle du Ring proposé en 2020 saura davantage concilier la fosse et la scène.
Benjamin Lassauzet