Il y a quatre-vingts ans jour pour jour, Max Jacob était enlevé à la vie. Alors en détention au camp de Drancy, sa mort déclencha de vives réactions chez ses amis poètes ; Cocteau, Claudel, Fauchois… Retour sur l’un des précurseurs du dadaïsme et du surréalisme qui ne laissait pas indifférent Poulenc ou Sauguet.

Né dans le Finistère en 1876 dans une famille juive non pratiquante, Max Jacob grandit au milieu des aiguilles et des pelotes de laines. Son père, Lazare Alexandre exerce le métier de kemener, c’est-à-dire tailleur-brodeur, profession estimée par les coquettes de Quimper et leurs maris bourgeois. Sa mère, Prudence, une Parisienne au bras de son père depuis 1871 travaille également dans la boutique. « L’esprit nouveau » souffle sur la fin du siècle, berçant ainsi les intentions vengeresses des provinces perdues. Cynophobe depuis son enfance, Max Jacob ne trouvera jamais de consolation auprès d’une mère railleuse, occupée quotidiennement à sa toilette. Afin de soigner sa nervosité débordante, il est envoyé à 13 ans chez Jean-Martin Charcot qui pratique sur lui l’hypnose. Il passe dans cette maison de santé – pour adolescents issus des milieux favorisés – un an. Au retour de son séjour, Jacob manifeste une véritable sensibilité pour les beaux-arts et la musique. Entamant une brillante scolarité, collectionnant les prix en histoire, en sciences naturelles, en allemand et en rhétorique, il s’enthousiasme pour Baudelaire et Laforgue. Après une proposition de bourse pour intégrer l’école Normale, sciemment déclinée par le jeune homme, il décide de suivre son frère Maurice sur les bancs de l’Ecole coloniale. En parallèle à la Faculté de droit de la Sorbonne, Max Jacob se lie d’amitié avec Raoul Bolloré, petit-neveu de l’industriel Jean-René Bollloré. Son imagination débordante le pousse au suicide en mars 1885. Le futur poète en portera le deuil sa vie durant. Réformé de l’armée en 1896 pour insuffisance pulmonaire, il s’adonne alors avec rage au piano et au dessin paysager. Il démissionne aussitôt de l’Ecole coloniale et à 21 ans se trouve au centre d’un tourbillon artistique dans le Quartier Latin.
L’aventure de l’art moderne
Journaliste caractériel, Jacob s’exerce dans diverses revues à la critique d’art (signant avec le nom de son grand-père maternel). Il fait la connaissance de Picasso, de cinq ans son aîné. Estimé par les peintres, il poursuit malgré tout son ambitieux projet de devenir écrivain. Intégré dans la bohème artistique du début du siècle, Max Jacob rencontre les artistes qui font vivre le Tout- Paris : Apollinaire, Cocteau, Juan Gris, Gertrude Stein, Fernand Léger, Marie Laurencin et Maurice Princet qui l’initie au haschich. A cause d’une chansonnette grivoise sur la muse d’Apollinaire jouée dans un cabaret, il est mis à l’écart du groupe. Seul, face à des visions répétitives, il se convertit au catholicisme. Pendant deux années, il se plonge dans ce qui restera l’œuvre de sa vie, une exégèse occultiste de l’Evangile, de l’Ancien Testament et des pères de l’Eglise.

Tourmenté par son homosexualité, il fréquente l’avant-garde montmartroise ce qui le conduit en 1917 à diriger le chœur des Mamelles de Tirésias. Quelques mois plus tard, Max Jacob fait paraître à compte d’auteur Le Cornet à dés, chef-d’œuvre par lequel il accède à la rêvée notoriété d’écrivain. Très ému par le récit du génocide arménien que lui font des réfugiés, il publie une sorte de manifeste en 1918 pour une intervention humaine : Les Alliés sont en Arménie. Aux chevets de ses deux Jean (Aurenche et Cocteau), il accompagne le poète dans les nombreuses soirées parisiennes. A l’occasion de la fictive République de Montmartre, Poulenc lui commande quatre poèmes qu’il souhaite mettre en musique.
« Il était, avec Saint-Pol-Roux, un de nos plus grands poètes. […] son œuvre marque une véritable date dans la poésie française. Depuis Aloysius Bertrand, Baudelaire et Rimbaud, nul plus que lui n’avait ouvert à la prose française toutes les portes de la poésie ».
Paul Eluard, Avril 1944
Le bouleversement du vers libre
Alors que la mode est versatile, les critiques pleuvent sur ces récents travaux au point d’assimiler sa production à la dégénérescence. Les thèses de Lacan n’ayant pas encore réhabilité la théorie du fou génial, il est comme Dali accusé de paranoïa, d’où l’exclusion des dadaïstes. Quand il n’écrit pas, Jacob voyage. Introduisant le jeune André Malraux dans la bonne société artistique, l’homme échappe de justesse à la mort après un violent accident de voiture en août 1929. A la sortie de l’hôpital, il se fait librettiste pour les anciens membres du Groupe des Six. Avant de se retirer à Saint-Benoît-sur-Loire pour mener une vie monacale, Max Jacob laisse un dense testament et reçoit les fréquentes visites de ses amis de longue date. En 1937 il rencontre la nouvelle génération d’artistes allant de Messiaen à Trenet en passant par René Lacôte, Jean Bouhier ou Marcel Béalu. Accompagnant volontiers un ami médecin pour des consultations auprès des réfugiés de la guerre d’Espagne, il se retire définitivement, pendant l’Occupation, dans la chapelle où se trouve Notre-Dame-de-Fleury.
« Et j’admirais l’utilité de la moindre syllabe. Un mot changé, une virgule, et l’expérience était manquée. Max Jacob ne manque jamais ses tours de prestidigitateur. « Sautez à la corde en descendant l’escalier, vos pieds ne le toucheront pas ».
Yvon Belaval
Pour prolonger l’œuvre de Max Jacob en musique…
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Par Victor-Emmanuel HUSS