Jamais il y n’y a eu autant d’évènements autour de Jean Cocteau qu’en cette année 2023 ; les conférenciers et les éditeurs sont aux aguets, les maisons d’opéras programment des mélodies ou des opéras dont il est l’auteur du livret et les chaînes de télévision sont mobilisées pour la (re)diffusion de ses 5 longs-métrages. Logique, penserez-vous puisqu’il y a 60 ans, cet iconoclaste de la littérature rendait son dernier souffle.
Cocteau est un nom qui résonne à de multiples hauteurs. Il est ainsi difficile de présenter en quelques mots cet auteur tout simplement unique. L’adjectif polygraphe résume bien le personnage. Cet homme caméléon, l’impresario de son temps, est adulé de son vivant comme poète mais aussi en tant que parrain du Groupe des Six, qui ne serait certainement pas passé à la postérité sans un « poète-orchestre »[1]. Ces œuvres à la fois romanesques, théâtrales ou cinématographiques lui ont permis de ne jamais exceller dans un seul domaine. Il serait incongru de ne pas évoquer, en plus de ses nombreuses contributions littéraires, ses talents de dessinateur sans égal. Dans le sillage des plus grands artistes de la première moitié du XXe siècle (écrivains, peintres ou compositeurs) il a su développer un style reconnaissable au premier coup d’œil. Le large éventail de ses domaines de prédilection, ne permettant pas de le classer dans un courant artistique particulier, ce qu’il n’aurait lui-même pas apprécié, affiche un héritage inédit. L’immense François Truffaut parlait de lui en ces termes : « Cocteau lui, était partout, tout l’intéressait, il aidait tout, et tout le monde »[2]. Cet « auteur protéiforme », pour reprendre une expression utilisée par Malou Haine, connaissait la musique, il en jouait d’ailleurs en amateur. Lui-même à écrit au moins deux chansons pour Marianne Oswald, que l’on peut qualifier de mélodrames. Anna la bonne est certainement la plus célèbre.

La recherche française ne s’intéresse que depuis très récemment à Jean Cocteau. Parmi les pionniers, figure l’Université Paul Valéry de Montpellier, citée par Claude Arnaud, auteur d’une dense biographie qui fait référence.[3] Cela met en exergue une considération tardive de ses écrits, ainsi qu’une entrée récente dans la Bibliothèque de la Pléiade, en novembre 1999 pour ses Œuvres poétiques complètes. Il est intéressant de noter que jusqu’à aujourd’hui, aucune thèse n’analyse la musicalité, pourtant prédominante, dans son œuvre. Depuis une dizaine d’années, les chercheurs se sont intéressés au rapport qu’il entretenait à la musique, mais pas encore aux références musicales utilisées. Il s’agit là d’un réel fil conducteur à déceler. La Grande musique (la musique classique) guide ses premiers pas jusqu’à son dernier souffle. Elle lui a permis de s’y réfugier tout au long de sa vie et plus spécifiquement après les nombreux drames qui l’ont parsemée.
L’auteur, souvent qualifié de personnage excentrique et anticonformiste, du fait d’une vie cachée, loin de la capitale qui l’a pourtant vu grandir, dérangeait. L’enfance mondaine passée dans les salons parisiens y est certainement pour quelque chose. Son œuvre a d’ailleurs toujours posé question. De plus, sa vie privée mise sur le devant de la scène, à commencer par ses penchants amoureux, « une sexualité, encore jugée infamante » [4] lui a peut être porté préjudice. Dans une société condamnant juridiquement l’homosexualité, (la France la dépénalise en 1982[5], l’Allemagne de l’Ouest en 1994[6]), le tabou régnait. L’évolution des mœurs est vraisemblablement la réponse à la toute récente recherche autour de l’œuvre de Cocteau.
Par ailleurs, le poète avait un comportement étonnant ; « Toujours à courir derrière une version de lui-même » [7], il n’a pas facilité l’analyse par sa postérité.Il existe en effet 3 versions du Coq et de l’Arlequin dans le même genre littéraire, œuvre toujours indescriptible. Et cela se complique d’avantage avec une transposition de genre. En effet, Jean Cocteau a laissé au moins deux versions des Enfants terribles, la version romanesque (1929) et une pièce de théâtre (1938) qu’il adapte lui-même au cinéma (1950).
Victor-Emmanuel HUSS

Portrait de Jean Cocteau par Boris Lipnitzki, vers 1950. Photographie au gélatino-bromure d’argent. Collection particulière
4 épisodes retraceront la vie de Cocteau et le 11 octobre, jour anniversaire de sa disparition, Guy Ducrey (https://ea1337.unistra.fr/leurope-des-lettres/enseignants-chercheurs-de-leurope-des-lettres-et-publications/guy-ducrey/), Professeur de littérature comparée à l’Université de Strasbourg, sera notre invité pour évoquer l’héritage du poète.
[1] Titre de l’article d’Yves-Michel ERGAL, emprunté à Louis ARAGON. Paru dans la revue de l’Opéra national du Rhin en 2004
[2] François TRUFFAUT, Les films de ma vie, « Champs-arts », Flammarion, 2019, 446 pages, p 278
[3] Claude ARNAUD, Jean Cocteau, « biographies », NRF-Gallimard, 2003, 864 pages, p. 12
[4] Ibid
[5] En 1981, l’Etat retire l’homosexualité de la liste des maladies mentales, l’OMS fera de même en 1990. La loi du 4 août 1982 supprime toute pénalisation impliquant des personnes de plus de 15 ans (majorité sexuelle).
[6] En Allemagne de l’Ouest, l’homosexualité était longtemps considérée comme un délit pouvant parfois déboucher sur des peines de prison et ce jusque dans les années 1970 (jusqu’en 1994 comme le souligne le paragraphe 175 de l’article 175 du Code pénal allemand « Strafgesetzbuch »).
[7] Claude ARNAUD, Op cit.