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Disparition de Béatrice Uria-Monzon, la passion incarnée

C’est avec une immense tristesse que nous apprenons la disparition à l’âge de 61 ans de Béatrice Uria-Monzon. Elle était de ces artistes qui ont marqué une génération d’amoureux de l’opéra. Avec sa voix ample, son tempérament incandescent et son intelligence musicale, Béatrice Uria-Monzon s’est imposée rapidement comme une figure incontournable de la scène lyrique française.

Née à Agen le 28 décembre 1963, fille d’un peintre espagnol (Antonio Uria-Monzon), Béatrice Uria-Monzon grandit dans une famille d’origine espagnole, baignée dans la culture musicale. Très tôt, elle montre un goût marqué pour la scène, la littérature et la voix chantée. C’est au conservatoire de Bordeaux, puis au CNSMD de Paris, qu’elle forge sa technique vocale auprès de maîtres exigeants. Mais c’est la scène qui l’appelle : une fois diplômée, elle s’oriente sans détour vers l’opéra.

Béatrice Uria-Monzon s’est imposée rapidement comme une figure incontournable de la scène lyrique française

Elle débute sa carrière à la fin des années 1980 avec des rôles secondaires, d’abord à l’Opéra national de Lyon, puis à Bordeaux et Marseille. Mais très vite, sa voix chaude, profonde, sa diction claire, sa présence magnétique séduisent les directeurs de théâtre comme les chefs d’orchestre.

Sa carrière prend véritablement son envol au début des années 1990 grâce à deux rôles : Charlotte dans Werther de Massenet, et surtout Carmen, dont elle va devenir l’une des interprètes majeures à l’échelle internationale.

Carmen : la femme fatale incarnée

Le rôle de Carmen a souvent été qualifié de piège : archétype d’une séduction libre et fatale, il demande autant de puissance vocale que de subtilité dramatique. Béatrice Uria-Monzon en fait l’un de ses rôles-fétiches, au point d’en donner plus de 250 interprétations sur les plus grandes scènes du monde : Paris, Vienne, Berlin, Madrid, Tokyo, Pékin, Buenos Aires, et même New York. Elle marquera de son empreinte de façon éternelle ce rôle notamment après son passage au Stade de France aux cotés de Roberto Alagna.

Chez elle, Carmen n’est ni caricature ni folklore. Elle est une femme entière, déterminée, profondément humaine. La critique salue son incarnation : une Carmen tragique, émancipée, brûlante sans excès, d’une présence scénique magnétique. La voix, sombre et souple, épouse chaque inflexion du rôle, de la nonchalance provocatrice de la Habanera à la violence farouche du final.

Si Carmen reste la figure centrale de sa carrière, Béatrice Uria-Monzon refuse de s’y enfermer. Elle explore un large éventail de rôles, allant du romantisme français à Verdi, du baroque à la musique contemporaine. Elle interprète notamment :

Elle travaille sous la baguette de grands chefs tels que Michel Plasson, Myung-Whun Chung, Valery Gergiev, Daniel Oren, Michel Swierczewski, et met en scène avec des artistes comme Francesca Zambello, Nicolas Joël, Calixto Bieito ou encore Jean-Claude Auvray. Les lorrains se souviennent encore de son passage en 1990 à Metz lorsqu’elle interprète le rôle-titre masculin dans Orphée et Eurydice de Gluck à Metz après son passage remarqué à Nancy. En 2021, elle participe à la création de Hémon de Zad Moultaka à Strasbourg.

Dans les années 2010, elle élargit son répertoire aux rôles de mezzo-soprano plus mûrs ou dramatiques, comme Kundry (Parsifal), Madame de Croissy (Dialogues des Carmélites), Mère Marie, ou Geneviève (Pelléas et Mélisande). Parallèlement, elle consacre une partie de son temps à la transmission. Depuis 2022, elle enseigne au CNSMD de Paris, où elle forme une nouvelle génération de chanteurs avec rigueur et générosité. Elle est également membre de jurys de concours internationaux et donne régulièrement des masterclasses.

Une carrière récompensée

Béatrice Uria-Monzon a été nommée Chevalier, puis Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres. Elle a reçu plusieurs distinctions pour son engagement dans la promotion du répertoire lyrique français et sa carrière exemplaire sur les scènes du monde entier.

Ses enregistrements – notamment Carmen, Werther, La Navarraise, Le Cid – restent des références. Mais c’est sur scène qu’elle déploie toute la palette de son art : le feu, la précision, l’émotion, la vérité.Plus qu’une grande voix, Béatrice Uria-Monzon est une présence, une actrice lyrique de premier plan, une incarnation vivante du théâtre chanté. Son parcours, marqué par une exigence artistique rare, témoigne d’un engagement constant au service de l’art lyrique. Elle reste aujourd’hui une référence incontournable de l’art vocal français.

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