
Pour cette édition de Vagabondages, Francis Corpart nous entraîne à travers une fresque sonore où les figures de l’histoire prennent vie au fil des notes. Rois, révolutionnaires, héros mythiques ou aventuriers du ciel : chacun trouve son double musical dans ce voyage symphonique aux mille visages.
Au programme :
🎼 Giacomo Meyerbeer – Struensee, ouverture
Un drame de cour danoise devient un opéra oublié… mais l’ouverture, elle, vibre encore avec puissance et tension. Sous la baguette de Mickail Jurowski, l’Orchestre NDR de Hanovre ressuscite le destin tragique de Johann Friedrich Struensee, médecin et réformateur victime de ses idées.
📀 Label : CPO, 2000 | ⏱️ 14’28
🎼 Alexandre Glazounov – Stenka Razine, op.13
Un poème symphonique aux allures épiques pour un héros cosaque du XVIIe siècle. Glazounov dresse ici le portrait d’un rebelle en quête de justice, magnifié par la grandeur orchestrale que lui offre Yevgueni Svetlanov à la tête de l’Orchestre académique d’État d’URSS.
📀 Melodiya, réédition 2023 | ⏱️ 16’09
🎼 Richard Wagner – Siegfried Idyll
Ici, la légende devient intime. Wagner compose cette pièce pour l’anniversaire de sa femme, mais y infuse toute la grandeur de Siegfried, figure héroïque de la mythologie germanique. Une sérénité magnifiée par l’interprétation de Rafael Kubelik et le Philharmonique de Berlin.
📀 DGG, 1964 | ⏱️ 18’54
🎼 Franz Liszt – Mazeppa, poème symphonique n°6
Entre vérité historique et romantisme exalté, Liszt suit le destin tourmenté d’Ivan Mazeppa, héros ukrainien traîné par un cheval sauvage… Une œuvre dramatique, enflammée, que Herbert von Karajan et l’Orchestre Philharmonique de Berlin portent à incandescence.
📀 DGG, 1961 | ⏱️ 15’19
🎼 Camille Saint-Saëns – L’assassinat du Duc de Guise
Première musique de film composée en France, ce chef-d’œuvre illustratif accompagne le meurtre du Duc de Guise, figure majeure des guerres de religion. Grâce à François-Xavier Roth et l’orchestre Les Siècles, cette fresque historique retrouve toute sa vigueur dramatique.
📀 Harmonia Mundi, 2023 | ⏱️ 20’36
🎼 Edvard Grieg – Sigurd Jorsalfar
Inspiré du roi croisé Sigurd Ier de Norvège, Grieg signe ici trois pièces orchestrales pleines d’élan et de noblesse. Avec Esa-Pekka Salonen, l’Orchestre de la Radio suédoise explore l’âme héroïque nordique avec clarté et majesté.
📀 Sony, 1991 | ⏱️ 15’57
🎼 Arthur Honegger – Mermoz, suite n°2 – Le vol sur l’Atlantique
Clôture de ce périple avec l’aviation héroïque. Honegger rend hommage à Jean Mermoz, pionnier du ciel, dans cette fresque aérienne poignante dirigée par Michel Plasson. Un vol symphonique vers l’infini.
📀 DGG, 1993 | ⏱️ 7’57
Une émission à (re)découvrir, pour entendre l’Histoire autrement – dans le souffle des orchestres, le frisson des cordes, et l’écho des grands destins. Vagabondages, chaque mois avec Francis Corpart, sur les chemins inattendus de la musique classique.
Aller plus loin : Quand l’histoire inspire l’orchestre : figures humaines, mémoire symphonique
À travers les œuvres choisies dans cette émission de Vagabondages, une évidence s’impose : la musique symphonique a toujours été une formidable caisse de résonance de l’histoire humaine. En s’emparant de figures marquantes, les compositeurs projettent bien plus qu’un simple récit : ils réinterprètent, mythifient ou interrogent notre rapport au passé. Voici quelques pistes pour prolonger cette traversée musicale.
L’homme dans l’Histoire : entre drame et idéal
Prenez Struensee de Meyerbeer ou Stenka Razine de Glazounov : ces œuvres, bien qu’écrites à des époques très différentes, incarnent toutes deux des personnages broyés par l’histoire. Le premier, médecin éclairé dans une cour danoise conservatrice, voit son destin brisé par la politique. Le second, rebelle cosaque devenu légende, symbolise une forme de justice populaire face au pouvoir tsariste.
La musique ne se contente pas de raconter : elle met en tension, elle condense l’intensité dramatique, et surtout, elle donne une voix émotionnelle à ceux que les livres d’histoire figent parfois trop vite. C’est tout le génie du poème symphonique au XIXe siècle : transformer un événement ou une vie en expérience sensorielle immédiate.
Mythes et héros : un écho de l’éternel
Avec Wagner (Siegfried Idyll) et Liszt (Mazeppa), on quitte le strict domaine historique pour entrer dans une relecture mythologique. Siegfried, héros des Niebelungen, incarne l’innocence et le renouveau. Mazeppa, quant à lui, est transformé en figure romantique par la légende et la littérature (notamment Byron). Les compositeurs trouvent dans ces personnages des archétypes de la force, de la chute, de la rédemption.
Ces œuvres traduisent moins un épisode précis que l’écho de grandes valeurs humaines. On n’y entend pas l’Histoire, mais ce qu’elle nous dit de nous-mêmes. Le poème symphonique devient ici une allégorie sonore, une manière d’explorer l’âme humaine à travers des visages devenus symboles.
Histoire et narration : quand la musique devient cinéma
La partition de Camille Saint-Saëns pour L’assassinat du Duc de Guise marque une rupture. Écrite pour accompagner un film muet en 1908, elle est une prémisse du cinéma sonore. Pourtant, elle conserve la richesse orchestrale de la tradition romantique, et propose une véritable relecture du drame politique qui agita la France du XVIe siècle.
Saint-Saëns y insuffle une tension théâtrale, presque opératique. Ce faisant, il prouve que la musique savante peut aussi servir à raconter l’histoire avec un œil moderne, cinématographique, presque journalistique avant l’heure.
Figures nationales et mémoire collective
Avec Sigurd Jorsalfar, Grieg célèbre un roi croisé, figure centrale de l’identité norvégienne. Honegger, de son côté, rend hommage à Jean Mermoz, pionnier de l’Aéropostale et héros de l’aviation française. Ces œuvres illustrent un phénomène bien connu : la musique comme outil de mémoire nationale.
Dans un monde post-romantique où les nations cherchent à se définir culturellement, les compositeurs deviennent des passeurs de récit collectif. Le héros n’est plus seulement un individu, mais le miroir d’un peuple, d’un idéal, d’un rêve partagé.
Entendre l’Histoire autrement
L’émission de Francis Corpart nous le rappelle : la musique ne parle pas seulement au cœur, elle éclaire l’histoire d’un jour nouveau. Elle nous fait entendre ce que les mots ne peuvent parfois pas dire – la douleur d’un sacrifice, la grandeur d’un acte, ou la solitude d’un destin.
Ces portraits symphoniques deviennent alors des temples invisibles de la mémoire, des œuvres vivantes qui perpétuent le souvenir des figures marquantes… tout en nous questionnant sur ce que nous attendons, aujourd’hui encore, d’un héros.