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Editorial – février 2022

La danse classique a ses afficionados, parfois fanatiques, mais la musique de ballet n’a que peu d’amateurs, car souvent considérée comme le témoin d’un art qui n’a rien à dire au XXIème siècle. Pourtant combien de trésors méconnus ou mal aimés dans ces partitions ! Ses compositeurs sont souvent considérés avec dédain, ou inconnus des passionnés de musique.

On connait évidemment le Sacre du printemps, favori des chefs et des programmes de concert, on aime naturellement Daphnis et Chloé ou le Prélude à l’après-midi d’un faune, mais qui a vu ces ballets à la scène ? Le génial Roméo et Juliette de Prokofiev a tant été utilisé dans la publicité que tout un chacun connait la musique du bal chez les Capulets, sans savoir qu’avec la chorégraphie, cette musique prend tout son sens et est incroyablement magnifiée. Ces partitions ont acquis un statut d’œuvre de concert, existant par elles-mêmes sans que la danse n’y soit plus associée.

Quand il est question d’Adam, Auber, Delibes, Lalo et Messager ou même Glazounov, le mélomane est plus circonspect ; un peu comme pour l’opérette, cela n’a pas l’air très sérieux, on s’éloigne du bon goût et de la (vraie ?) musique sérieuse. Qui donc connait Minkus, pourtant l’un des compositeurs sans lequel le ballet russe ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui, ou encore Pugni ? Tchaïkovski lui-même souffre parfois d’un peu de condescendance : trop de pathos, trop de larmes. On a bien des souvenirs d’enfance de Casse-Noisette, au moins des danses du dernier acte ; on a en tête les grands thèmes du Lac des Cygnes, mais on écoute rarement ces ballets intégralement.

Si vous croyez ne pas aimer la musique de ballet, vite, cherchez la Belle au bois dormant, enregistrée par l’Orchestre de la Suisse Romande sous la direction d’Ernest Ansermet. Dès les premières notes, on est happé par la folle énergie, le charme et la beauté de cette musique, impossible de s’ennuyer. Ce disque est une pure merveille. La musique est géniale, malgré les contraintes que Marius Petipa, le plus grand chorégraphe de la danse classique, a imposées à Tchaïkovski : durée, style, tempo, couleur ! Les deux autres ballets, le Lac des Cygnes et Casse-Noisette, sont du même niveau. Ecoutez-les d’un bout à l’autre : génie mélodique, orchestration luxuriante d’une grande inventivité (les harpes ! les bois ! les cuivres !), solos de violon dignes du concerto du même compositeur, sont autant d’invitations à un voyage musical sans pareil. Mieux encore : visionnez ces ballets extraordinaires, Youtube est une mine inépuisable ; cherchez-les en Russie (Bolchoï, Marinsky ou Stanislavski), à Paris, Londres ou Milan.

Quand vous serez convaincus par Tchaïkovski, ce qui ne sera pas difficile, allez vers des terrains moins fréquentés. Essayez par exemple l’incroyable « variation claque » de Raymonda, musique de Glazounov. Un piano solo vous transporte en quelques notes dans un monde exotique, bientôt rejoint par un orchestre discret ; le mystère s’épaissit. Cherchez alors une vidéo qui vous montrera la prima ballerina en princesse hongroise inaccessible ; essayez Sylvie Guillem, Noëlla Pontois ou Maria Alexandrova, pour comprendre le lien indissoluble entre la musique et le geste. Il vous sera difficile d’oublier ce piano entêtant comme un parfum capiteux. Vous prendrez peut-être goût à la danse et on vous parlera d’un des plus grands ballets du répertoire, La Bayadère, actuellement encore la plus belle production jamais montée à Paris. Quand vous aurez entendu la musique si simple, si profonde, si touchante, de l’entrée des Ombres, quand vous aurez visionné dix fois cette merveille, vous voudrez savoir qui a composé cette musique. C’est Ludwig Minkus (1826-1917) justement, auteur de La Bayadère, du Corsaire, de Don Quichotte, de Paquita, de La Source (avec Delibes justement) et autres Camargo et Fille des neiges.

Et ce pauvre Adolphe Adam, oublié ou méprisé aujourd’hui, sans doute à la mesure de son succès et de sa célébrité au 19ème, auteur de dizaines de ballets, opéras, opéras comiques et opérettes ; il n’en reste pas grand-chose dans les salles de concert et les théâtres, même si le délicieux Postillon de Longjumeau redevient populaire. Heureusement, il reste Giselle, qui n’a jamais quitté l’affiche des maisons de ballet. Visionnez, écoutez : on est transporté dans un autre monde, grâce à ce chef d’œuvre de musique, très estimé de Tchaïkovski et de Saint-Saëns.

S’il y a un musicien qui aime le ballet, c’est bien le chef Richard Bonynge, infatigable découvreur de musique et collectionneur passionné de tout ce qui touche à l’opéra et à la danse au 19ème siècle. On a réédité récemment un coffret de 45 CD consacré à ses enregistrements de ballets. Personne n’a jamais fait mieux, après tous les opéras qu’il a enregistrés avec Joan Sutherland. Merci Sir Richard !

Quand un soir vous aurez l’âme en peine, écoutez l’entrée de Kitri dans Don Quichotte ou la variation de la Fée de la Vigne dorée de la Belle au Bois dormant. Tout ira mieux.

Bernard CribierAnimateur de l’émission Les Fantômes de l’Opéra

Extrait du bulletin des programmes d’Accent 4 du mois de février 2022

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